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Disiz: « Etre indépendant m’a permis de reconstruire mon image »

Disiz: « Etre indépendant m’a permis de reconstruire mon image »

Il a connu le succès commercial très jeune en 2000 avec « J’pète les plombs » et cela lui a fait du tort dans son parcours artistique. Nous avons redécouvert un nouveau Disiz, en 2008, avec grems, et Foreign Beggars notamment. Aujourd’hui, celui qui se considère comme « un enfant gâté du rap » semble s’être trouvé à la fois en tant qu’artiste et en tant qu’homme. La Voix du HipHop, s’est entretenu avec Disiz, à l’occasion de sa venue à Lille, le 15 février 2013. Son parcours, ses expériences en major, son image mais aussi le rap qu’il aime, ses livres et son dernier projet «Extra-Lucide». Disiz se lâche, en toute lucidité.

A la suite de l’album « Disiz the end », nous pensions que tu arrêtais le rap, pourquoi es-tu revenu ?
A l’époque de Disiz The end, j’étais écoeuré par énormément de choses, je me disais que ma carrière était derrière moi. Je ne me retrouvais plus dans la direction qu’avait pris le rap en France, je ne m’y retrouvais plus. Malgré tous les efforts que je faisais pour montrer que je suis capable de faire autre chose que du rap léger, j’avais l’impression que l’industrie du disque et les gens en général n’attendaient de moi que du « j’pète les plombs ».  Je me suis longtemps battu contre ça. Mais moi-même, j’avais fait quelques erreurs, notamment à la télé… Et tout cela, je le raconte dans Disiz The end. Et c’est pour toutes ces raisons que j’avais arrêté.

Le fait de m’être arrêté m’a ramené de la lucidité. C’est un peu comme dans un combat de boxe, tu t’es pris pleins de droite, mais tant que le round n’est pas terminé, tu ne peux pas récupérer. Et donc, le fait de m’arrêter m’a permis de saisir plein de chose. Déjà, que j’avais un public qui me suivait. Et ça je ne me rendais pas compte avant. Faire cet album rock m’a fait du bien, j’ai pu me lâcher, me laisser pousser les cheveux… Si je prends l’exemple des consoles de jeux, c’est un peu comme si j’avais appuyé sur reset, et que je recommençais une nouvelle partie. En toute franchise, petit à petit, je me suis dit que c’était con de dire que j’arrête, parce qu’au lieu de dire le rap ceci, le rap cela, fais le rap que tu aimes et ne te soucie pas du reste. Ensuite, j’ai eu des lectures qui m’ont bien aidé dans ma réflexion. C’est pour cela que je parle beaucoup de Tolstoï ou de Malcolm X. Ces lectures m’ont permis de me reconstruire. Et, c’est pour cela que je suis revenu avec ce message là, ce disque là et que j’ai mis comme thématique de ce retour, la lucidité.

Parce que la lucidité te permet de repérer ce qui ne va pas mais aussi ce qui va. Tu prends par exemple, les dépressifs. Pour eux, rien ne va, tout est gris, tout est fini. Ils n’ont pas ou plus la lucidité pour se rendre compte des choses qui vont bien dans leurs vies, même des petites choses. C’est tout cela que je raconte dans « Extra-lucide ». Dans cet album, il y a des morceaux légers, il y a des morceaux sombres, il y a un mélange subtil de clair-obscur…

La première fois que j’ai entendu Disiz c’est sur la mixtape 25ème de Dj Poska (1997), j’ai commencé à te suivre depuis la compilation « HomeCore » (1999). Je ne vais pas refaire toute ta biographie, des albums en total au moins 6 long format, des mixtapes, des tapes, des apparitions diverses, des collaborations …bref :Que retiens-tu de l’époque Barclay (Universal Music) ? Que retiens-tu de l’époque Naïve ? Pourquoi avoir signé chez Def Jam France ?
Chez Barclay et Naive, j’étais signé en tant qu’artiste, chez Def Jam, je suis signé en licence, et il y a une grande différence. J’ai toujours eu ma liberté artistique, mais dans ma perception des choses, c’était totalement différent. Quand tu es signé en artiste, tu appartiens en gros, à la maison de disque, et elle a la main mise sur ce que tu sors, c’est le système main qui donne, main qui ordonne. Le fait d’être mon propre producteur et éditeur aujourd’hui, j’ai la main-mise sur tout. C’est comme ça que j’ai reconstruit mon image.

Quand je fais le projet « Lucide », je suis en totale indépendance. J’ai une mini-structure et je décide de tout : le clip, l’image, tout. Cette démarche je l’ai gardé. Même en étant signé en licence chez Def Jam, je décide de tout : quand ça sort, quel clip, ce qu’on envoie. C’est une force que je n’avais pas avant, parce que je suis un enfant gâté du rap. J’ai connu le succès très jeune. Sur mon premier album, j’avais Akhenaton et Joey Starr. Je n’avais donc pas la lucidité pour comprendre tout ça et c’était plutôt facile de me mener par le bout du nez.

Au final, les expériences Barclay et Naive sont, pour moi, des mauvais souvenirs. Particulièrement Barclay, parce qu’ils n’ont pas su voir quels artistes ils avaient. Je n’avais pas le même traitement qu’un autre artiste de variété ou de chanson, par exemple. On voulait toujours que je refasse la même chose, que je fasse du « j’pète les plombs », des titres légers et marrants. C’est vrai que j’ai ça en moi, je suis un mec marrant, mais je ne suis pas que ça. Or la maison de disque ne voulait que ça. Tu prends un titre comme « La luciole », qui marche très bien aujourd’hui, et qui était sur l’album « Peter Punk » et dont j’ai fait le clip pendant « Lucide » : La force de ce morceau était la même, il y a deux ans que je l’ai sorti en disque. Cela me fait dire que sur l’album « Les histoires extraordinaires d’un mec de banlieue », il y avait déjà les prémisses de ce que je voulais faire : ouvrir mon rap, avec un peu de pop et d’électro. Mais Barclay ne m’a pas suivi. Ils m’avaient cantonné à « j’pète les plombs », et quand je leur proposais de mettre en avant un titre comme « Miss Désillusion »,  ils ne voulaient pas, pour eux, c’était un pop, pas du tout marrant, bien écrit, en bref, ça ne servait à rien. Et je pense que Barclay m’a fait perdre du temps dans ma carrière.

Tu as sorti deux romans, pourquoi avoir décidé de publier des livres ?
J’ai d’abord aimé la littérature avant la musique. Quand j’avais environ 12 ans, la télé chez nous a explosé. Je vivais avec ma mère, j’étais fils unique et je n’avais pas trop le droit de sortir. Donc, j’étais souvent coincé chez moi, tout seul et je m’emmerdais pas mal. J’ai commencé à regarder tous les livres que j’avais chez moi, et d’abord ce qu’on m’avait offert à Noël , alors que je n’aimais pas vraiment lire. Le premier que j’ai lu, c’était « La vie devant soi » de Romain Gary. J’ai fait l’expérience du pouvoir d’un bouquin. C’est comme ça que j’ai commencé à lire beaucoup, sauf que j’avais l’impression que la société me disait que la littérature ce n’était pas pour moi. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu d’effet de mimétisme comme avec le rap, quand j’ai vu la première fois un rappeur sur Rapline, je suis mis à rapper immédiatement après dans ma chambre. J’ai donc dû attendre d’avoir 30 ans pour oser écrire mon premier bouquin, Les derniers de la rue Ponty. Et encore, ce bouquin quand je le relis, il est rempli de complexes d’infériorité : Parce que je voulais bien écrire, parce que je voulais pas que ce soit perçu comme un livre de « rappeur ». C’est pour cela que quand, par la suite, je fais l’émission avec Zemmour, je suis tellement sur la défense et ne veux pas qu’on m’attaque, que dès qu’il parle de coquilles, de fautes d’orthographe, je pète un plomb… Bref, mon second livre, René, est de meilleure facture, parce que j’ai surmonté tous mes complexes.

Rappeur, acteur, auteur, de quoi es-tu le plus fier ?
Je ne me pose pas ce genre de questions, et je n’ai fait qu’un film et encore, j’ai joué dans un film qui n’est pas le meilleur film de tous les temps. Ma satisfaction, ma victoire, sincèrement, c’est d’être sur scène, jouer des chansons que j’ai faites dans mon coin devant mon public. Ca me suffit. Alors pourquoi je fais plein de choses ? Simplement, parce que je suis curieux. On me propose beaucoup de choses, et je refuse beaucoup de choses. Mais dès qu’il y a un lien avec l’écriture, raconter une histoire, que ce soit interpréter un rôle, écrire un livre, écrire une chanson, alors je réponds, parce que c’est ça que j’aime.

Dans quel état d’esprit as-tu réalisé « Extra-Lucide »,  et quelle est l’ambition de ce projet ?
Il y a effectivement une ambition cachée et comme elle est cachée, je ne peux pas la dire. Par contre, je peux donner des pistes. « Lucide », « Extra-Lucide » et « Translucide » sont  faits pratiquement en même temps. Comme je m’étais arrêté pendant longtemps, je me suis dit, je vais faire une trilogie et bien expliquer mon propos.  Il y a des titres qui sont sur « Extra-Lucide » qui  ont  été réalisés avant « Lucide ». Il se trouve que j’ai dispatché les choses.
Avec ce projet, j’essaie, humblement, d’apporter un contre-courant à tout ce qui est ultra-cynique dans l’industrie du disque et le rap en particulier. On ne peut pas faire comme si de rien n’était, parce que cela a des conséquences sur certaines personnes. J’essaie humblement d’être un contraste lumineux. J’essaie de montrer qu’avoir une famille, c’est cool. Avoir des enfants, c’est cool. Tout est réfléchi et articulé dans cette optique.

En terme d’invités sur ce projet, c’est assez limité. On peut retrouver Autumn Row sur « Best Day », Mac Miller sur  « Toussa Toussa », OrelSan sur « GoGo Gadget »….Comment s’est opéré le choix de ces invités et qu’est-ce qu’ils apportent ou sont-ils censés apporter à tes titres?
Orelsan, je sais que c’était un featuring attendu depuis longtemps. C’est le producteur Skread (qui bossait avec lui) qui me l’a fait écouté pour la première fois, il y a 5 ou 7 ans en me disant qu’il aimait bien ce que je faisais. Puis, il fait son premier album, que j’apprécie et j’entends certaines personnes dans le rap, dire qu’il n’est pas de chez nous, qu’il ne faut pas le calculer, c’est du rap de blancs, etc. Je n’aimais pas cette attitude. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, le gars sait rapper. Et je tiens ce discours dans les interviews. Il y a une espèce d’appréciation mutuelle qui se crée. Entre temps, il sort son deuxième album qui explose et ça correspond au moment où moi je reviens. Je me dis, c’est le bon moment, vu que c’est une collaboration attendue et qu’il y a un respect mutuel : Je l’ai donc invité sur un titre de mon album.

Pour Mac Miller, je trouve qu’il a remis un peu à la page, le côté rap cool. Et quand le buzz se fait sur « Lucide », les maisons de disque me courtisent et Def Jam me dit : « nous,  on a Mac Miller, il est en indépendant aux USA mais hors –USA, il fait un featuring par pays et on a pensé à toi ». J’aime bien ce qu’il fait. Donc, j’étais Ok, mais j’ai demandé qu’on se rencontre parce que les featuring Protools ne m’intéressent pas. Nous sommes rencontrés lors de sa venue au Casino de Paris. Je lui ait dit que j’avais posé sur  son titre « Loud » et que ce serait bien qu’il pose sur le mien. Il a dit Ok, je lui ai envoyé les bandes et il a posé sur « Toussa toussa ».

Autumn Row ? Diesel avait fait l’instru de « Best day » et me l’avait envoyé. J’y ai posé mes couplets mais je n’avais pas réussi à poser des refrains, ça ne collait pas. Et je lui explique ça en lui disant que je vais être obligé d’abandonner le morceau. C’est là qu’il me dit d’attendre et qu’il bosse avec une américaine et qu’il va tenter quelque chose.  Le lendemain, il m’envoie « Best day ». Au début, j’ai eu peur, à cause notamment du refrain chanté,  mais un pote m’a dit de repenser à Juicy de Biggie Smalls. Et effectivement, « Best day » est dans la même veine.

Il y a pas mal de producteurs dans «Extra Lucide » : Dave Daivery, Diesel, Clément d’Animalsons, Médeline, Blastar, Amir de Street Fabulous et quelques autres. Est-ce qu’avant même de rentrer en studio, tu avais une ligne directrice musicale en tête ?
Oui. Les gens m’envoient des instrus. J’ai une idée plus ou moins précise de ce que je veux faire. Et pour que ce soit cohérent, je demande à certains de m’envoyer des pistes séparées des instrus, et pour pouvoir apporter des modifications ou des arrangements… C’est comme si je participais un petit peu à l’élaboration des musiques. Je prends quand même des mecs qui savent faire du son.

Il y avait un article dernièrement dans le quotidien, Le Monde qui écrivait « Disiz, chanteur et Youssoupha rappeur ». Youssoupha, quand je l’ai interviewé, m’a dit qu’il tenait à son étiquette de rappeur et toi ?
Moi aussi, je tiens à mon étiquette de rappeur. Mais après, tout dépend de ce qu’on met dans rappeur. Il y a un gros problème à ce niveau chez les journalistes en France. Il y a des gens dans des magazines comme Les Inrocks qui parlent de rap mais n’y connaissent rien.  Le rap n’est pas monolithique, le rap, c’est un entonnoir, on y met plus de truc de dedans  pour en faire ressortir un mélange original. Dire que je suis un chanteur et Youssoupha rappeur, c’est, d’une certaine manière, stupide.

Qu’est-ce que tu aimes dans ce mode d’expression qu’est le rap ?
C’est une musique authentique. Pour moi le rap, c’est une musique qui ne passe pas forcement par la tête. Je m’explique, c’est d’ailleurs de Dave Daveiry que vient cette image : Si, par exemple, tu rentres dans une pièce et que l’odeur n’y est pas très bonne. Le politiquement correct va te faire dire « ça sent mauvais », le rappeur, par contre, va te dire « ça pue la merde ». Voilà, c’est ça le rap, c’est spontané. Pour dire les choses, dans le rap, tu peux, bien sûr, utiliser des images, des métaphores  mais ces derniers doivent être au service de ce que c’est réellement.

On a redécouvert un autre Disiz, sur le titre « Gash » avec Grems et Foreign Beggars puis sur  » Rouge à Lèvres  » : flow, technique et aisance verbale… Par contre, sur « Extra Lucide », tu ne t’es pas aventuré sur ce terrain là… on y sent une certaine aisance, une certaine maîtrise dans l’expression, en revanche peut-être que je me trompe mais le rap, l’écriture est moins technique, la rime moins compliquée ….est-ce volontaire de ta part de laisser davantage place à une certaine simplicité ? De privilégier davantage le fond à la forme ?
Tu as raison. Ca fait encore partie de mes complexes. Je voulais tellement montrer que je sais écrire, tellement montrer que je ne suis pas qu’un rappeur léger qui a des gimmicks, que j’ai peut-être neutralisé certains aspects. Comme ce côté marrant que j’ai encore que j’ai neutralisé. Mais je dois dire qu’il y a quand même dans cet album des couplets techniques.

S’il y a deux mots pour définir cet album, ce serait « sérénité » et « ouverture ». Est-ce que ce côté « Extra-Lucide » ne serait pas tout simplement lié à ce que l’on vit ?
Oui, tout à fait. Moi, je me suis longtemps cherché dans cette  musique mais aussi dans ma vie. Sans faire de la philosophie de comptoir, j’ai grandi sans mon père, j’ai forcement cherché des figures tutélaires dans plein de choses, particulièrement dans des bouquins, dans des parcours de vie, je faisais référence tout à l’heure à Tolstoï et à Malcolm X. Leur parcours de vie m’a fait gagner du temps sur mon parcours de vie.
Tout ce côté, je me fous des puissantes, parce qu’il y a ça dans Extra Lucide, je vais faire mon disque et le produire moi-même, je me fous des maisons de disque, je me fous des résultats de vente, je dis ce que j’ai à dire : ça vient de Malcolm. Mais le côté, assume ta sensibilité, assume ton message positif et lumineux que tu veux envoyer, ça c’est Tolstoï. Parce que Tolstoï, lui-même dans sa vie, a opéré ça.

Selon toi, quelle est la force de cet album, « Extra-Lucide » ?
Ce n’est pas à moi de le dire… Je n’ai pas assez de recul. Mais je me rends juste compte que mes choix ont payé. Que le fait d’être dans la totale désintermédiation, c’est-à-dire que l’équation des médias soit complètement effacée et  que je pense qu’au public directement, ça paie. Ca ne veut pas dire qu’avant, je ne pensais pas au public, c’est juste que je n’avais pas de notion du public.  J’étais mal à l’aise par rapport à cela. Pour moi quand j’entends les stars remercier leur public, je me disais qu’ils remerciaient leurs clientèles. Aujourd’hui, je dis « mon public ». De la même manière que je  ne veux pas correspondre au cahier des charges des maisons de disque ou d’une radio, je ne veux pas correspondre au cahier des charges d’un public. Parce que sinon, tu n’es plus libre en tant qu’artiste.

A quand remonte ta dernière claque musicale niveau rap en français ?
Il y a un morceau de demi-Portion qui s’appelle « on m’a dit » et qui m’a vraiment plu. Le  EP de Ladea, « Milk-shake » m’a aussi plu. Mais une claque ? Il faudrait peut-être que je remonte à « Nuage de fumée » d’Ideal J… Sinon, dans un style un peu léger, j’ai vraiment bien aimé le morceau de Dany Dan avec Saloon « interlude bouffe ». Finalement, ma plus grande claque de rap français toutes périodes confondues, c’est Le Rat Luciano, avec « Les mains sales » dans le premier album de la Fonky Family (« Si Dieu veut… »). C’est indétrônable parce que c’est décomplexé du rap.

 

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