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Franck Bessière : « Le fait de prendre des photos parfois te charge de responsabilités. »

Franck Bessière : « Le fait de prendre des photos parfois te charge de responsabilités. »

Franck Bessière est un photographe professionnel en presse, basé à Marseille, où il est correspondant pour une agence photographique, pour la région du Sud est de la France. Passionné de HipHop et photographe sur des nombreux événements  et portraits HipHop, il revient, dans cette interview, sur son métier, expose son regard sur la culture HipHop qu’il a vu grandir et  sur le poids et donne son point de vue sur le rôle de l’image dans la société et dans la culture.

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Franck Bessiere (©Lilian Auffret/Sipa)
Franck Bessiere (©Lilian Auffret/Sipa)

Peux-tu nous donner les grandes lignes de ton parcours, ton histoire avec la photographie. Quel a été l’élément ou l’évènement déclencheur ?
Je crois que réellement l’élément déclencheur (et c’est le cas de le dire), a été un héritage. Mon grand-père maternel n’était pas forcement quelqu’un de très ouvert sur les autres, et même d’ailleurs avec les membres de sa famille. Il n’y a que lorsqu’il est décédé, au partage de l’héritage que j’ai appris qu’il était après-guerre, photographe professionnel. Dès lors, j’ai souhaité récupérer tout son matériel. Je pratiquai déjà à l’époque la photo (début des années 2000), mais vraiment en tant qu’amateur. En possession de ce matériel, surtout d’un bon vieux télémétrique Leica, j’ai énormément progressé. Puis un jour, las de faire des jobs qui étaient loin de me passionner, je me suis jeté dans le monde de la photographie professionnelle. Le début a été assez difficile financièrement, mais grâce à certaines personnes qui m’ont fait confiance, j’ai pu continuer et je dois dire que je fais aujourd’hui un métier qui me passionne toujours autant.

Avec quel type d’appareil, as-tu commencé puis aujourd’hui quel est ton outil ou ton (ou tes) arme (s) de prédilection afin d’effectuer tes photos ?
J’ai commencé avec du matériel Pentax argentique, puis donc Leica avec ses optiques inégalables. Lorsque le numérique a supplanté l’argentique, je suis passé chez Canon. Tout photographe de reportage a une distance de prédilection avec son sujet. Moi je travaille très près, j’aime coller le sujet, entrer dans sa sphère. C’est pour ça je travaille en reportage avec des grands angles (28mm), mon père photographique est William Klein, regarde un peu par exemple son travail sur Rome, c’est tout à fait le regard qui me convient et qui me parle.

D’ailleurs selon toi, est-ce qu’à partir d’une photo on peut tout dire ou tout comprendre… Bref, qu’est-ce que tu aimes dans ce mode expression ?
Ce que j’aime dans l’image fixe? Raconter une histoire ! Que ce soit du portrait, reportage, ou bien même de l’image plasticienne, tu peux dire tellement de choses ! J’aime prendre en exemple cette image de justement William Klein.

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Tu vois sur cette image il se passe plus de 10 histoires! Des histoires qui laissent la place tant à l’imaginaire qu’à la retranscription de la vérité. Et c’est ça qui est génial, tu peux reporter la vérité pour dénoncer, informer, montrer, et tu peux aussi faire rêver, distraire, égayer.
L’image fixe est forte, et donc aussi très dangereuse. Il faut faire grande preuve de scepticisme quand tu lis une photo.

Je me suis donné le temps d’aller voir ton travail, visiter et revisiter ton blog (http://focca.fr/blog-photo/) dont le travail est plus qu’appréciable. J’ai été surpris par la diversité des thèmes, différents portraits, différentes présentations, l’exploitation du noir et blanc ainsi que de la couleur. Quoiqu’il en soit, on reste dans l’actualité le plus souvent. Comment travailles-tu généralement, vu que tu sembles avoir différentes casquettes, c’est à dire photographe de presse, social, culturel et studio notamment ?

Je ne fais quasiment jamais de studio, j’aime pour les portraits utiliser les environnements, ça apporte de la profondeur et du sens à l’image. Ce qui prime dans ce travail, c’est le contact. Une bonne atmosphère fera un bon portrait, et vice versa. Pour ce qui concerne les reportages, ma plus grosse préoccupation (à l’inverse du portrait) c’est de se faire oublier, et de trouver l’angle qui sera le plus représentatif de ce que j’ai voulu reporter.

[su_quote]Le fait de prendre des photos parfois te charge de responsabilités. Mais la responsabilité souvent n’est pas au moment de prendre ou pas la photo, mais plus à sa diffusion.[/su_quote]

Quelle est ta définition de la photographie ? Et est-ce que la démocratisation des appareils photos annonce aussi la fin d’un métier ou fait le tri dans la profession de photographe ?
Ahhh, très large sujet ! Je pense que non, nous ne sommes pas à la fin de la photographie professionnelle, mais à sa révolution (dans le sens du changement). Même si je te donne des cours de dessins, des magnifiques pinceaux et de belles toiles que ça fera de toi un bon peintre! Le regard se travaille au quotidien, il se façonne. La technique n’est finalement qu’un moyen, et sûrement pas l’essence de la photographie. J’ai vu de très beaux sujets réalisés au polaroid ou à l’IPhone, ce qui compte c’est l’intention et ton regard.

 AKH (© Franck Bessiere)
AKH (© Franck Bessiere)

 

Comment vois-tu la société qui t’entoure ? Puis Y-a-t-il une différence entre ta vision d’homme et celle du photographe ?
Les 2 ne font qu’un. Ma vision de la société actuelle n’est pas très positive. Je la trouve beaucoup trop individualiste, et consumériste. Tout est basé sur le profit que l’on pourra faire sur le dos des autres. J’espère qu’un jour, on se posera les bonnes questions. Je suis toujours étonné et dégoutté de voir des gens crever de froid dans la rue à côté de bagnoles de plus de 200 000 Euros. Je ne comprends vraiment pas comment on a pu en arriver là.

Est-ce que le fait d’avoir l’oeil dans le viseur change ta manière de voir le monde ?
Oui et non. Le fait de prendre des photos parfois te charge de responsabilités. Mais la responsabilité souvent n’est pas au moment de prendre ou pas la photo, mais plus à sa diffusion. Le témoignage est une belle action de militantisme lorsqu’il est pratiqué à bon escient, mais comme je l’ai dit auparavant, la photographie est forte mais donc aussi dangereuse.

Affectionnes-tu un type de photographie en particulier, car j’ai pu remarqué que  tu exploitais davantage le noir et blanc, est-ce que je trompe? Peux-tu en dire un peu plus ?
J’aime beaucoup effectivement le N&B pour son côté graphique et «  non polluant  ». Vous allez droit à l’essentiel. Mais la couleur peut être aussi très forte, et est par contre beaucoup plus difficile à travailler. Ce qui compte c’est la cohérence entre ton choix de traitement et ton intention.

Funkdoobiest (© Franck Bessiere)
Funkdoobiest (© Franck Bessiere)

 

On a eu l’occasion de bosser ensemble sur certains évènements notamment pour La Voix du HipHop, c’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu découvrir la qualité de ton travail….Je sais aussi que tu as connu ce que l’on appelle l’âge d’or du HipHop, tu as vu grandir cette culture. Aujourd’hui, quel regard portes-tu sur cette même culture HipHop et son imagerie, sens-tu une progression ?
J’ai grandi avec le HipHop, mon premier album c’est  LL Cool J – Mama Said Knock You Out – en 1990. Puis après les premiers IAM et NTM et tout ce qui a suivi.
Forcément quand tu as connu cette époque de frénésie musicale, cette époque où le HipHop n’était pas considéré pour de la musique, que les artistes sortaient des albums sans moyen mais avec des putains de bons textes, tu as envie de dire « avant, c’était mieux ».
Mais finalement je ne pense pas. En revanche je pense qu’aujourd’hui, au vu de la quantité d’artistes, il y a un énorme tri à faire sur ce qui est bon, et ce que tu peux considérer comme du HipHop vide. C’est un peu comme la photo. Aujourd’hui, dans notre quotidien on voit énormément d’images, les bonnes sont noyées dans des millions d’images vides.
J’aime bien sur entendre les types de la «  old  », sortir des albums comme Disiz, Lino, AKH ou même Redman. Mais beaucoup de nouveau talents sont aussi très prometteurs, je pense à Demi portion, La Methode, etc. Le HipHop n’est vraiment pas mort, loin de là, faudra juste avoir l’oreille sélective.

[su_quote]Ce qui prime dans ce travail, c’est le contact.[/su_quote]

Au passage t’intéresses-tu à toutes les disciplines du HipHop ?
J’adore la danse, le graff, le beatbox et le djing. Oui, je crois qu’on peut dire que toutes les disciplines m’intéressent.

Actuellement dans la musique c’est l’image qui compte, et pour toi d’ailleurs qu’est-ce que tu en penses ?
C’est plutôt bon, puisque ça pousse les artistes vers le haut. Justement quand tu vois le dernier clip de Lino, c’est un régal de sens!

Reverie (© Franck Bessiere)
Reverie (© Franck Bessiere)

 

Tu as l’occasion de rencontrer différents artistes du HipHop, via les évènements que tu couvres, concerts, show-cases, festivals… Qu’est-ce qui est le plus marquant pour toi au final, l’instant, l’échange, ou notamment le résultat photographique? En somme il y a t-il un ou des artistes qui t’ont marqué plus que d’autres et pourquoi?
Ils m’ont tous marqué par leur simplicité, sauf peut-être un groupe qui ont d’ailleurs fait feu de paille comme quoi tout se paie. J’aime tout en fait, l’échange et bien entendu ce que je vais en garder, c’est-à-dire les images, et mon souvenir. J’ai peut être particulièrement aimé la rencontre avec Lino, qui au premier abord n’était pas des plus simples mais qui s’est révélée comme un échange super intéressant.

Penses-tu pouvoir changer les choses, changer le regard des gens, un minimum au moins  dans ton entourage par le biais de la photo et de ce que tu mets dans l’image ?
Carrément, comme tu le sais, j’ai connu l’époque clandestine du HipHop, et aujourd’hui c’est un vrai plaisir que de voir des chefs d’entreprise, ou des personnes pas du tout branché rap « liker » mes photos d’artistes HipHop. C’est une belle revanche.

On arrive à la fin de l’interview, que peut-on attendre de ton côté au niveau des projets? Puis penses-tu à faire une exposition ou as-tu déjà exposé ton travail au public hors blog?
Merci beaucoup. Oui j’ai déjà fait plusieurs expos, souvent des travaux de commande. Je n’ai pour l’instant pas exposé de travail personnel, mais j’ai un projet dans les cartons justement orienté HipHop. Bien évidemment, La Voix du HipHop sera le premier au courant !

 Lino (© Franck Bessiere)
Lino (© Franck Bessiere)

 

 

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