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Arm: « Codé fait surtout référence à la façon dont ma musique semble cryptée pour certains »

Arm: « Codé fait surtout référence à la façon dont ma musique semble cryptée pour certains »

Plus de 15 ans, après la sortie de son premier album, avec le groupe rennais, Psykick Lyrikah, ARM a livré en fin 2019, son dixième album, « Codé ». La Voix du HipHop s’est entretenu avec le rappeur/producteur sur ce dernier projet mais aussi sur son approche de la musique.

Combien de temps pour la réalisation de ce nouvel album, de l’écriture à l’enregistrement jusqu’au mixage final ?
C’est allé assez vite, un peu comme d’habitude. Je compile et avance des musiques pendant plusieurs mois et dès que j’ai un fil conducteur j’écris, maquette, puis pose les voix définitives peu de temps après. Le plus long, c’est finalement une fois que j’ai fini le disque : le mixage, le mastering, tous les éléments graphiques de la pochette, du livret etc, attendre la sortie, les clips, tout ça semble long quand tu travailles seul et rapidement. Mais je comprends, ce sont des aléas de label que je ne maîtrise pas.

Le titre de l’album, « CODÉ « , interpelle. Est-ce que tu t’es donné une ligne directrice pour ce projet ?
Absolument. Plus que jamais même. J’en avais un peu ma claque du rap, à la fois d’en faire et d’en écouter. Il y a eu une grande période, qui continue d’ailleurs, où je me suis retrouvé à m’ennuyer terriblement à l’écoute des sorties rap. Je ne sais pas si c’est musicalement, ou les textes. Je trouve que malgré toutes les nouvelles facettes que cette musique a pris, la pop, les délires cloud, rock ou ce que tu veux, malgré ça je trouve que les disques ne sont pas très excitants. En tout cas, moi je me fais chier. Et donc pour ce disque, vu que je n’écoutais quasiment que des musiques de films ou des trucs instrumentaux, l’idée de départ, c’était de construire une bande-son et d’écrire de manière très libre par dessus. Je pensais vraiment qu’il n’y aurait presque pas de beats. Bon, en vrai, au fur et à mesure que j’avançais, ça a quand-même refait surface, notamment les deux prods très traps/noise de Sçlé que j’ai choisies de retenir pour le disque. Et du coup y’a quand-même du rap mais ça reste un projet assez étrange. Et « Codé » fait surtout référence au langage informatique et à la façon dont ma musique semble « cryptée » pour certains, ce qui en dit long sur la musique que ces gens-là doivent écouter !

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« Codé » fait surtout référence au langage informatique et à la façon dont ma musique semble « cryptée » pour certains

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Tu en es à ton dixième album. Quel est le challenge de ce nouvel opus ? Le challenge personnel, le challenge musical, ou encore le challenge au niveau des lyrics, ou autre, s’il y a, bien sûr, un challenge que tu t’es décidé de relever avec « CODÉ « ?
Non pas de challenge, je n’ai jamais considéré la musique comme un « sport » ni comme une « compétition ». J’ai assez vite compris que la voie que j’avais choisie était un chemin de traverse un peu moins, beaucoup, moins dans la lumière que d’autres, et ça va de paire avec une absence totale de pression. Que les gens apprécient ou pas un disque est bien sûr important quand tu sors quelque chose, mais pour moi la plus grande fierté c’est qu’on me dise que j’ai réussi à évoluer et à ancrer ma musique dans le présent tout en gardant ma patte. La plupart de ceux qui me suivent le ressentent. Après je ne vais pas te cacher que j’aimerais que ça prenne plus, ne serait-ce que pour avoir plus de moyens, et faire plus facilement les choses. Mais c’est comme ça.

Qu’est-ce que la musique t’apporte au quotidien ?
Au quotidien je suis assez rarement seul, alors que je suis de nature plutôt solitaire. Donc je crois qu’au-delà de l’amour d’écrire et de composer de la musique, il y a aussi le besoin très fort d’être seul dans ces moments-là. Et d’être complètement ouvert à une sensibilité et une créativité qui, pour moi, ne peut se dévoiler qu’en étant seul et face à soi-même. Ça m’apporte sûrement une certaine sérénité d’avoir un espace dans lequel je raconte des histoires et je créé des mondes.

Dans l’album précédent, tu sortais déjà plus ou moins de ta zone de confort, musicalement, et rapologiquement avec notamment un changement dans tes placements, l’utilisation de l’auto-tune comme du vocodeur. Dans ce disque on sent davantage d’aisance, de maîtrise de ton art… Y-a-t’il un ou plusieurs titres sur lequel ou lesquels il a fallu prendre plus de temps soit à l’écriture soit à la réalisation ?
Le titre qui a pris le plus de temps est « Cap Gris » parce qu’il a fallu forcément tout faire valider à une personne de plus, et que Vîrus est quelqu’un de très perfectionniste. « Oneiro » a été un peu compliqué, mais surtout dans le mix, parce que c’est une production très chargée qui laisse très peu de place à la voix. Et j’ai mis beaucoup de temps à trouver comment « Deux » allait sonner, il y avait un beat jusqu’à assez tard, ça n’allait jamais, je passais mon temps à modifier des trucs. Quand j’ai retiré la rythmique tout a fait sens. Ça tient à peu de choses parfois.

Dès le premier titre, on plonge lentement mais sûrement dans l’univers de CODÉ : Un univers sombre, une noirceur sonore marquante, les ambiances sont essentiellement nocturnes, spacieuses et surtout hypnotisantes, l’apport et les notes du clavier dans les compositions, les bpm lents, les beats mid tempos, tous les petits éléments sonores donnent une profondeur particulière aux productions. On a l’impression que tout ce disque (de l’écriture à la conception musicale ) a été réalisé la nuit. Quasiment durant chaque titre on a l’impression que le spectre du mal plane, justement quelle couleur donnerais-tu à cette disque ? Et pourquoi ?
L’ambiance planante oui, ça rejoint ce truc de B.O de film, j’écoutais aussi Disasterpeace, Olafur Arnalds, Labradford, des B.O de jeux aussi, par exemple celle de Red Dead Redemption 2 qui est superbe. Après, cette thématique nocturne, j’ai envie de te dire « on ne se refait pas », ça a toujours été très présent dans mes textes. J’imagine que c’est aussi lié à ma culture cinématographique et littéraire. C’est aussi sûrement plus romantique de chanter ces moments plus calmes, ceux où la plupart des gens dorment et où le poète lui est éveillé avec sa bougie et sa plume 😉 . Pour moi, c’est important de créer de vraies ambiances et donc l’unité de temps a une fonction primordiale. Au départ, ce devait même être le concept narratif du disque, qui devait débuter quand la journée tombe, et se finir quand le soleil se lève. Mais je n’ai pas vraiment réussi à être explicite. Ca racontait trop de choses un peu inutiles qui étaient là juste pour qu’on situe le moment, ça forçait un peu, je ne le sentais pas. Je suis donc revenu à quelque-chose de plus abstrait, plus libre. Quant au « spectre du mal » je ne vois pas de quoi tu veux parler. D’un truc « sombre » ? Si c’est ça oui, je n‘ai jamais caché mon goût pour les esthétiques disons « mélancoliques », par contre je crois que ma musique laisse passer de plus en plus de lumière, il y en a toujours eu mais là elle commence à se remarquer. C’est, je crois, ce que je raconte depuis toujours.

Tu travailles essentiellement tout, tout seul au contrôle des manettes. Pourquoi ? Est-ce qu’il y a une volonté d’avoir une identité sonore bien distincte, est-ce qu’il y a chez toi, une volonté de travailler dans ton coin ? Ou est-ce qu’il y a autre chose ?
Au départ c’était pour aller plus vite. Le beatmaker avec lequel on a fait « Des lumières sous la pluie » n’était plus à Rennes. J’avais besoin d’avancer, de créer, de chercher. Et comme j’étais moi-même musicien je trouvais dommage de courir après des gens pour quelque chose que je pouvais apprendre. Donc j’ai appris. Puis je m’y suis habitué. Après je ne suis pas fermé, il y avait Hook sur deux titres de « Dernier Empereur », sur celui-ci il y a deux prods de Sçlé, c’est vraiment ouvert s’il y a un coup de coeur.
Mais honnêtement, je crois que j’ai fait beaucoup de disques tout seul et qu’il est temps que j’en fasse un à plusieurs, je crois que c’est le bon moment pour le prochain, j’ai envie d’être en studio avec une équipe cette fois, en tout cas musicalement.

Tu es ce que l’on appelle un artisan de la musique. Selon toi quels sont les avantages d’être à la fois mc et Beatmaker ?
Comme je te disais, déjà gagner du temps. Tu gères tout plus vite, tu modifies ta basse, ton bpm, tu vires un synthé qui prend de la place, tu as toutes tes pistes sous la main, tu envoies tout toi-même aux ingés-son, et comme tu as fait les sons tu sais bien comment les faire sonner parce que tu connais chaque élément de la prod. C’est pour moi le même travail que l’écriture, c’est le même processus. Le danger étant peut-être de s’enfermer dans des automatismes, ce dont j’essaie au maximum de me défaire. Mais après des disques en binômes avec des beatmakers, moi je ne suis pas contre, comme je l’avais fait pour « Psaumes ». il faut qu’il y ait un vrai coup de coeur, et aussi un rythme commun, que personne n’attende personne.

Comment bosses-tu et quelles sont tes armes de prédilection pour la conception musicale?
Techniquement ? C’est très basique. Je me suis toujours contraint au minimalisme par souci de créativité. Je n’aime pas trop lire des notices de toute façon 😉 Je travaille sur Logic Pro X, j’ai une suite de quelques plugs in indispensables, un Omnisphere 2, et un pad midi pour jouer tout ça, je tape tout, rythmiques et claviers, même les accords. Voilà, deux petites enceintes Genelec, un casque, une petite RME et un vieux micro russe qui convient très bien à ma voix. Chez moi je compose, mais j’ai besoin d’être ailleurs pour écrire et maquetter. Et j’enregistre (moi-même) les voix finales dans un studio à l’acoustique idéale. Ensuite je délègue aux gens dont c’est le métier le mix et le mastering évidemment, pour ça que je ne pousse pas trop loin le matos en amont. J’aime les choses simples.

Ce que j’aime dans ce disque comme dans la plupart de tes œuvres, c’est qu’il n’y a pas grand chose de conventionnel, ça transpire l’authenticité, le désir de faire et de partager une musique sans faire de compromis « Je suis dans le bon chemin, celui que j’ai choisi… » Comment tu interpréterais cette phrase, »La Liberté d’expression, prends en soin »?
Si j’ai choisi ce métier et cette vie, c’est justement par souci de liberté , si c’est pour retrouver les mêmes travers qu’ailleurs je préfère faire autre-chose et mieux gagner ma vie ! Après tous ces jeux mondains, tout ce relationnel qui est un axe majeur dans les métiers de la musique, j’ai tellement de mal avec ça que je pense que c’est une des raisons qui ont fait que je suis resté toutes ces années dans l’ombre . Disons que je n’ai jamais su serrer les mains qu’il faut, vendre ma came, contacter les gens, me placer. Moi tu me mets dans une soirée VIP avec plein de beau monde je file par la sortie de secours marcher dehors, alors forcément ça m’a joué des tours, peut-être que mon parcours aurait été différent si j’avais su mettre un peu d’eau dans mon vin. Mais c’est physique, je ne peux pas. Donc j’assume.

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Que les gens apprécient ou pas un disque est bien sûr important quand tu sors quelque chose, mais pour moi la plus grande fierté c’est qu’on me dise que j’ai réussi à évoluer et à ancrer ma musique dans le présent tout en gardant ma patte.

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« J’ai pas le temps de gratter le feat qui va bien… » : Sur cet album, l’unique invité est Vîrus qui apparaît sur le titre « Cap Gris ». Comment s’est opéré ce choix ? Puis, qu’est-ce que ce dernier apporte ou est sensé apporte à ce titre ?
Vîrus, je l’ai découvert en première partie de Flynt à l’Ubu à Rennes , il y a bien huit ans. On m’a aussi offert ses premiers maxis. Je suis rentré dans son délire petit à petit. Et c’est vraiment avec « Faire-part » que j’ai commencé à tout capter, et pour « Huis-clos » ça y est disons que j’avais les clés ! Donc bon, je l’ai contacté pour autre-chose, un truc qui ne s’est pas fait, mais on était en contact, on se croise une fois ou deux, on s’entend bien. Puis peu de temps avant que j’enregistre les voix définitives de « codé », il me dit qu’il compte passer quelques jours en Bretagne avec un pote à lui, donc je leur ai dit de passer en studio, je lui avais envoyé quelques instrus, au cas-où. Il n’y avait vraiment rien de prémédité, ça pouvait ne pas se faire, ou bien on aurait pu tenter un truc qui n’aurait pas eu sa place sur le disque, je ne sais pas. En tout cas, je ne me suis posé aucune question, j’aimais ce qu’il faisait, il passait là, et voilà. Evidemment, on s’est marrés en se disant qu’on risquait de faire un bon tube de l’été nous deux réunis. Il s’est investi à fond, sur le clip aussi, il « host » un peu le skeud vu qu’il back aussi sur le dernier morceau.

Une fois plongé dans les profondeurs de cet album, il est difficile de s’en sortir indemne . C’est un festival d’images, une succession d’émotions et d’ambiances nocturnes, le verbe « Perdre » est souvent utilisé dans ton expression. Est-ce voulu ou juste une coïncidence ?
Il y a toujours des gimmicks qui s’installent sur des moments d’écriture, j’imagine que « perdre » est celui du moment. C’est comme « codé » il a plusieurs sens. « Se perdre » c’est aussi s’abandonner à une certaine forme de liberté en sortant des rails.

C’est un album, que j’ai écoute à plusieurs reprises et écoute de nouveau. Et ce qui est intéressant, c’est ce que chacun peut avoir une ou des interprétations différentes des titres, en plongeant dans CODE. Effectivement musicalement et Lyricalement il y a un grand nombre d’éléments à décoder. Justement à quel niveau estimes-tu avoir le plus progressé depuis ton dernier opus ?
Oh, souvent les artistes parlent de leur dernier disque comme étant le meilleur, etc, et pour le suivant ils reviennent sur le précédant en pointant ce qui n’allait pas, un peu comme certaines chroniques d’ailleurs. « Dernier Empereur » est vraiment tel que je l’ai voulu. Mais, allez, disons que pour celui-ci j’ai fait attention à plus de choses en terme d’écriture et plus de cohérence musicale. Et puis le mixage aussi, c’est évidemment beaucoup plus solide que le précédent dont j’avais moi-même fais les trois-quarts du mix alors que ce n’est clairement pas mon taf. Là j’avais entendu du très solide avec Kaaris et SCH donc j’ai fait appel à quelqu’un qui a clairement monté le disque d’un level.

Peux-tu me donner 3 adjectifs pour définir ton style?
Exigeant, libre, ailleurs.

Il y a-t-il un mot de la fin?
Quittez vos écrans, sortez dans la rue, créez des alternatives, que ce soit en musique ou ailleurs. Merci à toi de soutenir ça 😉

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