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Arm: « La musique que je fais n’a pas forcément besoin d’invités »

Arm: « La musique que je fais n’a pas forcément besoin d’invités »

Originaire de Rennes, Arm a fait ses armes dans le HipHop français, avec son groupe Psykick Lyrikah, qui compte à son actif 6 albums. Désormais, artiste solo, depuis 2015, le MC revient avec un nouvel album, titré, « Le dernier empereur ».

Dans quel état d’esprit as-tu entrepris cet album et comment as-tu travaillé sur ce projet ?
Juste la volonté de tenter des choses, éviter la redite, et m’appliquer pour essayer de faire un disque solide et cohérent. Mais c’est un peu comme ça à chaque fois, l’envie de tester, d’amener les morceaux toujours un peu plus loin. Sans aucune pression. L’idée, c’est que pour un premier disque estampillé « premier solo », il fallait du neuf.

 » Dernier Empereur « , est un opus composé de 10 tracks. Combien de temps pour la réalisation de ce disque, de l’écriture à l’enregistrement final ?
Disons que ça a été étalé sur un an ou deux. J’ai dû bosser des instrus pendant un an, j’ai fait un peu de tri, et commencé vaguement à écrire. Au moment où je calais, je suis parti écrire ailleurs, du coup en trois semaines les textes étaient globalement terminés. Fin 2017 j’ai enregistré mes voix, en trois jours, seul dans un home studio. Ensuite j’ai essayé d’amener le mixage au maximum de ce que j’étais capable de faire, toujours tout seul, et on a filé l’étape finale du mix et le mastering à quelqu’un dont c’est le taf 😉

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C’est tellement installé dans le rap, cette notion de feat, qu’on ne se pose plus trop la question de sa nécessité. Y’a plein de feats qui sont juste de la promo déguisée faut pas être naïf..

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C’est un disque sur lequel il n’y a pas d’invité, pas de featuring. Est-ce que c’est parce que tu ne voulais pas d’autres voix sur « Dernier Empereur  » ou est-ce que cela est dû notamment à des histoires de temps et d’agenda?
Il y a Hook qui produit deux morceaux quand-même, « De passage » et « S’éloigner d’eux », sinon c’est un solo. La musique que je fais n’a pas forcément besoin d’invités, surtout que je fais aussi mes beats. C’est tellement installé dans le rap cette notion de feat qu’on ne se pose plus trop la question de sa nécessité. Y’a plein de feats qui sont juste de la promo déguisée faut pas être naïf. Moi si j’ai une idée précise sur un titre, pourquoi pas, mais c’est plus en termes de musique que j’aime les collaborations, les beatmakers, les musiciens. Le feat « rap » ce n’est pas qu’il n’est pas intéressant, c’est qu’il se limite souvent à « chacun son couplet et on se mélange au refrain », les possibilités ne sont pas folles, en plus y’a plein de gars que j’aime écouter mais sans forcément avoir envie de faire des morceaux avec eux.

C’est un disque où tu prends davantage de risques, un opus où tu sors de ta zone de confort, où tu exploites d’autres horizons musicaux, il y a autant l’utilisation de l’autotune que du vocodeur, il y a des titres chantés comme « Ta Main » …Y-a-t’il un ou plusieurs titres sur lequel ou lesquels il a fallu prendre plus de temps soit à l’écriture soit à la réalisation ?
J’ai tenté des trucs en effet, d’ailleurs c’est clairement les morceaux au format « chanson » que je préfère. Ce ne sont pas ceux qui ont forcément pris le plus de temps. « Ta main » par exemple j’avais la mélodie de l’instru en tête que j’ai siffloté dans un dictaphone pour ne pas la perdre. J’avais écrit le texte pour quelqu’un d’autre mais je l’avais même oublié. Au moment d’enregistrer il y avait ce son sur lequel j’ai voulu tenter un truc. Comme je n’avais rien écrit dessus, j’ai ressorti ce texte, je l’ai testé, j’ai gardé la première prise, ça a dû prendre 30 minutes 🙂
Sinon, il n’y a pas vraiment de titres qui m’ont posé problème, je compose, écrit et pose assez vite. Bien-sûr il y a des titres qui fonctionnent mieux que d’autres, mais souvent ce ne sont pas ceux sur lesquels tu as passé le plus de temps.

On est entre introspection, état des lieux, peinture de l’époque, dévoilement d’autres facettes de ta personnalité, un peu d’égotrip, différentes thématiques avec régulièrement des références au temps, quoiqu’il en soit c’est un disque moins sombre avec plus de lumière. Est-ce que c’est l’effet paternité qui rend tes textes et ta musique plus accessibles et moins sombres ? Ou peut-être qu’il est trop tard pour être totalement pessimiste tout simplement ?
D’abord la paternité qui changerait ta musique, pourquoi pas mais si c’est pour la rendre plus lisse et plus chiante j’espère que non ! Mon fils a 8 ans donc non, aucun lien, c’est juste qu’avec le temps on apprend à relativiser et justement affûter son regard. Mais je n’ai jamais été quelqu’un de sombre ou pessimiste, mes textes ont toujours été des textes d’homme debout, de lutte, parfois d’incompréhension ou de doutes, mais plus j’entends les états d’âmes des rappeurs aujourd’hui, moins je me dis que j’écrivais des trucs tristes !
Après cette « lumière » ne doit pas être le sens vers lequel la musique devrait aller avec le temps et l’âge, ça c’est de la connerie. Ce n’est pas un axe irréversible que je suivrais en me disant « je fais de moins en moins sombre », non, je fais comme je veux, si ça doit redevenir plus tendu, pas de souci tant que ça a du sens. Ma musique est un laboratoire, j’expérimente.

Quel regard portes-tu sur ce cycle de l’époque et que penses-tu du climat ambiant et du visage de la France en 2017 ? Et est-ce que tout ceci touche également ton mode expression ?
C’est une question très vaste ça 🙂 La France est un beau pays qui prend juste petit à petit le même visage que tous ses voisins occidentaux. Le consumérisme, le durcissement des lois sécuritaires, professionnelles, le pain et les jeux pour le monde d’en bas, l’élite dans sa tour de verre. Tant qu’on ne sera pas sorti d’un système social global tu peux bien aller voter pour qui tu veux la carotte sera la même. Internet et le flux continu d’informations ont aussi changé le monde. Permis beaucoup de belles choses mais ont aussi révélé le vide sidéral que la culture de l’image a amené. J’espère que les jeunes de demain s’intéresseront un peu au monde qui les entoure plus qu’au nombre de like sur leur dernier selfie instagram, il faut y croire.

Qu’attends-tu de 2018 artistiquement ?
Rien du tout comme ça je ne suis jamais déçu.

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Avec le temps on apprend à relativiser et justement affûter son regard. Mais je n’ai jamais été quelqu’un de sombre ou pessimiste, mes textes ont toujours été des textes d’homme debout…

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 » J’aime pas trop les conseils, J’écouterai pas, Laisse la lumière te parler/J’fais rien à l’envers gros, J’ai tout péta, Laisse le jour te préparer « . Comment faut-il comprendre cette phrase ?
Il y a deux idées là : La première phrase c’est un hymne à la confiance en son travail 😉 Parfois si tu demandes l’avis de dix personnes tu vas avoir dix sons de cloches différents. Moi je fais comme je veux, ça ne veut pas dire que je suis fermé, mais quand je me suis arrêté à quelque-chose artistiquement, ce n’est pas parce que quelqu’un émet une réserve dessus que ça va me faire douter.
La deuxième, ça rejoint « j’écris rien à l’envers, c’est juste le monde qui l’est », je laisse l’écriture se perdre un peu parfois, c’est important qu’elle ne soit pas creuse comme peut l’être parfois le quotidien. L’art c’est questionner et remuer tout ça, donc je ne calcule même plus quand j’entends qu’on ne « comprend pas de quoi parlent mes textes » 😉

Pour le moment en termes de clips extraits de « Dernier Empereur » et qui mettent en image ta musique, il y a « Ta Main » et « De Passage ». Quelle importance accordes-tu à l’image dans ta musique et est-ce que cela a changé ta manière travailler, étant donné qu’aujourd’hui, dans la musique c’est l’image qui compte davantage ?
Je t’avoue que je n’ai pas accordé assez d’importance à l’image alors que ma musique s’y prêtait. Je ne me suis pas assez investi là-dedans, pas eu forcément les bons contacts, les bons talents non plus. J’ai souvent été déçu, donc au fur et à mesure je crois que je me suis résigné, jusqu’à ces dernières années où on se donne les moyens de proposer quelque-chose de solide. Pour l’instant je laisse les équipes faire, mais progressivement je pense que je m’investirai plus dans l’écriture des choses.
Par contre « Dans la musique c’est l’image qui compte d’avantage » attention à ça, oui elle compte, mais si elle prend le dessus sur la musique c’est qu’il y a un gros problème. Et aujourd’hui, si le « packaging » est presque plus important que le contenu c’est bien que les logiques de la musique sont calquées sur celles de la vente de n’importe quel autre objet ou service de consommation. Les succès à répétitions des nouveaux artistes rap sont plus le fruit de ça que du réel contenu musical.

Qu’est-ce qui différencie Arm de Psykick Lyrikah de Arm en solo ?
Pas grand-chose finalement, puisque Psykick Lyrikah c’était déjà mon projet solo depuis dix ans 😉 Donc juste une affirmation plus nette de ça, simplification du nom, liberté de faire ce que je veux sans qu’on l’associe à Psykick, tout simplement.

Tu es un artiste qui se plait à droitier la paresse et casser les évidences, plus de 15 ans de carrière, chaque projet est comme une nouvelle palette, une offre différente. Est-ce que cela fait partie de la recette pour la longévité ?
Je n’ai pas de recette, j’essaie de me questionner à chaque disque, de me réinventer, de tenter des choses. La longévité elle se pose là maintenant que quinze années sont passées, mais dans les faits j’ai juste continué à faire ce que j’aimais faire et le temps est passé comme il serait passé sans. Et puis je n’ai vraiment pas vu les années passer depuis « Des lumières sous la pluie » parce que j’ai eu une vie sans beaucoup de temps morts depuis.

Qu’est-ce qui te rend fier dans la discipline que tu pratiques ?
Continuer à faire ce en quoi je crois, ne pas céder à la facilité ni aux chants des sirènes.

Au contraire qu’est-ce qui te désole le plus dans ce même discipline de la culture HipHop ?
Le pire c’est les « copier/coller ». La vulgarité, la violence, les thématiques bas du front ne sont pas ce qui me dérange dans le rap, tant qu’elles amènent un truc original. Ce qui me dérange ce sont tous les clones, tu zappes l’actualité rap français c’est « l’attaque des clones », j’en peux plus des mêmes intrus, mêmes flows mêmes textes dans les mêmes clips, ça me dépasse que ça puisse autant se faire. Les artistes qui amènent quelque-chose d’unique sont rares, les répliquants sont légion.

Depuis le début tu te donnes le luxe de faire ce que tu veux, en marge du rap game, avec certainement une des plumes les plus aiguisées de l’hexagone, c’est ta marque de fabrique d’ailleurs. MC, rappeur, chanteur, aujourd’hui comment définirais-tu ton style ?
Je ne sais pas, auteur, rappeur. J’ai l’impression de faire du rap, juste à ma sauce. Tous ces termes deviennent de plus en plus flous, mais c’est une constante chez beaucoup d’artistes vu que pas mal de barrières tombent un peu aujourd’hui en termes de style. C’est bon signe quand on n’arrive pas à te coller une étiquette.

3 raisons d’écouter ta musique ?
Je suis très mauvais pour me vendre 🙂 Disons que si tu as envie d’écouter un rap différent, ou même une musique différente de ce que tu as l’habitude d’entendre, teste. Surtout qu’entre « Dernier Empereur », « Psaumes » avec Tepr ou Psykick Lyrikah, tu as un paquet de morceaux à écouter !

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