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Copola : « Je ne cherche pas à être tendance »

Copola : « Je ne cherche pas à être tendance »

Copola c’est une partie de groupe parisien Rédemption, c’est la participation à un grand nombre de mixtapes (Pray One, Poska, Talents Fâchés…), de compilations de quartiers et d’autres projets ( notamment le street-cd de Spécio, Écoute ma Hood, Bitume Attitude 2…). Copola, c’est aussi une série de passages radio avec des prestations remarquables ( Couvre-feu, Bumrush, Boss…), c’est le maxi  » Équipe de Nuit » en 2002, la mixtape « Équipé Sport » en 2004, « Illicite Projet » en 2005, « Règlement de Compte » en 2006, le street-cd « Société Écran » en 2007. Copola, c’est aussi un silence avant un retour en 2020. Copola, c’est enfin un lyriciste hors-pair, sans doute l’une des plus belles plumes du rap français. Dans cette interview accordée à la Voix Du HipHop, l’ancien membre du groupe Redemption nous explique sa passion pour le rap et les mots, revient sur l’aventure Rédemption et nous présente son actualité musicale et projets à venir.

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– Les premières fois que nous avons entendu parler de Copola, c’était notamment sur une des mixtapes de Pray One, puis de Poska à la fin des années 1990. Une de tes dernières apparitions, c’est notamment dans l’album d’Akbal sur le titre « Abyssal », et sur le titre « Insomnia » avec Keuj dans l’album « Robert Mc Call » de Kheyzine  en  2020… Qui est Copola ? Pourrais-tu nous partager les grandes lignes de ton parcours ?
Merci à la voix du HipHop de mettre en lumière mon parcours. J’ai fait mes débuts dans le rap en 1995 dans le neuf cinq et j’ai poursuivi l’aventure jusqu’en 2007 sur Paris avec mon groupe Rédemption (Youssouf Gaye Cissoko, Cid Youssef et Nérubi à la prod). Siabou Konaté et Gnaxx formaient « La Bambara Mandingue », c’était la famille. Le collectif fut créé en 1999 dans le 19ème.
On a commercialisé notre maxi « ÉQUIPE DE NUIT » en 2002 puis avec LOSS et Médéline, on a formé le Label « Odessa Music ». Nous y avons produit Narcobeat 1 et 2, ILLICITE PROJET avec SONY puis notre Black Album « SOCIÉTÉ ECRAN ». Redemption a pu, grâce à tous ces projets, obtenir un succès d’estime dans le milieu du rap parisien underground.
Me voilà à nouveau, entre la plume et le micro statique, aux cotés de Kheyzine avec qui on a formé le duo « Infâme Allégeance » en hommage à nos inspirations communes et à nos phares artistiques, « Mobb Deep ».

– Effectivement tu apparais sur différentes productions de Kheyzine, c’est également lui qui signe la production sur le maxi Rédemption story.  Comment s’est faite la rencontre avec ce dernier? Il était question d’un projet en commun avec Kheyzine d’ailleurs, est ce que c’est toujours d’actualité ?
Kheyzine m’a contacté sur Instagram en 2020. Il appréciait Rédemption et respectait ma carrière. J’ai eu le feeling très rapidement avec lui et sa musique. C’était une évidence que notre perfectionnisme, notre exigence et nos influences allaient former une certaine alchimie.
On a sortie Raging Bull, Insomnia, Abyssal, Redemp Story…et nous avons taffé dans l’ombre afin de revenir fort en 2025.

– Qu’aimes-tu vraiment de ce mode d’expression qui est le rap? Qu’est-ce qui te motive encore à écrire, à rapper, à kicker ?
J’aime particulièrement écrire. J’ai écrit des scénarios, des nouvelles, des chansons, des slogans publicitaires, des poèmes. J’ai entamé un roman, j’ai fait des études de lettres modernes. Issu de famille modeste, le vécu se reflète dans mes textes mais je n’ai pas négligé la culture qu’elle soit littéraire, musicale ou cinématographique. Être street et engagé c’est bien, mais j’essaie d’enrichir mon pe-ra avec des références et une poésie sombre.
L’écriture a pris, prend et prendra toujours une place importante dans ma vie. Le rap, c’est la sulfateuse poétique de mon écriture, c’est un art violent qui faut manier avec précision mais avec impact. C’est l’écriture dans laquelle je libère le plus de colère et le plus de modernité de par son coté urbain.

– « Ma douleur n’est pas une mise en scène, mais une prose éclatée sur le choc de mes deuils, l’avortement de mes passions anciennes…. » C’est ce que tu rappais sur le titre « Non-retour », extrait du projet « Equipé Sport »…Prends-tu également le rap comme une sorte de thérapie ou une sorte d’exutoire ? Peux-tu nous en dire un peu plus?
Mon rap est fait d’amour et de haine, je suis un humaniste qui respecte les Hommes et les peuples. Je considère les Hommes comme mes frères mais face à la cruauté, l’exploitation des masses, la colonisation, l’ultra-capitalisme, les manipulations, je considère aussi l’être humain comme mon pire ennemi. Mon rap est une accolade sincère pour les uns et une spirale de pulsions mortelles pour les autres.

Mon rap est une accolade sincère pour les uns et une spirale de pulsions mortelles pour les autres.

– « On voulait tous être riche et célèbre, coucher avec une belle quand le soleil se lève, on couche avec la mort qui caresse ses lèvres, le diable a mis du poison sur mes rêves, mes rêves ». En ce moment qu’est-ce qui t’aide à te lever le matin ?
Mes proches, la nature, l’art et l’envie d’explorer ce monde qui tangue avant qu’il ne coule réellement. Ma vision du bonheur c’est être libre et bien accompagné.
Mes rêves sont beaucoup plus profonds qu’avant, je suis devenu moins matérialiste… Je cherche à vivre pleinement, dans une sorte d’équilibre entre les plaisirs et la sérénité. Je retiens mes démons enfermés dans mon écriture. Mes regrets, mes frustrations, mes rancœurs se libèrent dans mes textes mais j’essaie d’être agréable et bienveillant au quotidien…autant que je le peux car il y a de plus en plus d’anxiété, de pressions, d’incertitudes et de malveillance au sein de la société, il faut se canaliser pour ne pas sombrer avec elle.

– Qu’est-ce que la musique t’apporte au quotidien ? D’ailleurs pourrais-tu réussir à vivre sans musique. Quel est ton rapport avec la musique au quotidien?
J’écoute beaucoup de musiques différentes mais j’aime beaucoup la Soul et le rap US de l’âge d’or. Je réécoute beaucoup plus que j’écoute même si j’analyse ce qui se fait aujourd’hui. La musique s’est énormément industrialisée et l’argent ne fait pas le talent…c’est quand on a les crocs et une certaine folie que l’art est généralement plus original et émotionnel. Je peux écouter des morceaux légers autant que des morceaux complexes et profonds, cela dépend du degré d’écoute et de mon humeur mais la musique rythme mon quotidien, elle me transmet de l’énergie.

– Et Niveau son, en ce moment, qu’est-ce qui tourne en boucle dans tes écouteurs ? Est-ce l’époque t’a fait changer ta manière de consommer de la musique ?
Dans mes écouteurs, il y a du Lil Eto, du Conway. J’écoute du « Néoboombap » mais il y a toujours du Wu-Tang à l’ancienne et des morceaux de QB. Sinon pour ce qui est du rap français, je trouve qu’il a régressé depuis « Mauvais Œil » de Lunatic.

L’argent ne fait pas le talent…c’est quand on a les crocs et une certaine folie que l’art est généralement plus original et émotionnel.

– A quand remonte réellement ta dernière claque musicale, un titre ou même un album ou un ep. Bref, l’œuvre qui t’a surpris dont tu n’es pas forcément sorti indemne?
Sérieusement, je ne sais plus, il y a des morceaux très bons mais par rapport à Ghostface sur Mighty Healthy, par exemple, tout me parait en dessous techniquement. Ce n’est pas pour rien que j’ai arrêté le rap un bon moment, j’ai eu une sorte de rejet.
Ce n’est pas de la nostalgie de considérer Jordan, Maradona, Rimbaud, Brel, Bob Marley, Al Pacino comme les meilleurs all-time, certaines époques portent en elle des effervescences créatives qui dévoilent des génies ; d’autres époques sont plus fades et sans personnes sur le trône, c’est le cas du rap français aujourd’hui.

– Qu’est-ce qui semble le moins évident lorsque l’on revient sur les terres d’un rap qui a bien changé ? D’ailleurs suis-tu toujours ce qui se fait dans ce game ?
Je trouve que le boombap français est faible dans son ensemble. La plupart des rappeurs français aujourd’hui sont trop prévisibles, trop répétitifs. Les placements sont trop symétriques, ils n’ont pas assez de flows différents, pas assez de créativité, ils écrivent des punchs puis ils les collent les unes aux autres.
Je pense qu’il y a dans l’ombre des tueurs qui resteront dans l’ombre où qui ont leur petit public mais parmi ceux qui brillent, je ne vois personne de très dangereux à part Lino qui sort un morceau par an.
Pour la drill et la trap françaises, je ne m’y connais pas énormément. Mais 667, 13Blocks, Josman et d’autres ont sorti de bonnes choses. Même si c’est pas mon délire, il y a des jeunes équipes puissantes et inspirées.
Pour ma part, je ne cherche pas à être tendance, je fais ce que je sais faire par contre j’évolue, je me modernise, j’aiguise ma lame sans avoir peur de lâcher sur le champ de bataille des émotions inédites. L’art est infini, donc il faut essayer d’être toujours en mouvement ascendant et toujours se référer aux meilleurs américains, ne pas se concentrer sur les français.
Par contre, il est préférable d’éviter de calquer les flows kainris car les puristes vont griller ça direct et l’univers artistique perd en valeurs aux yeux des gens. C’est important de s’imprégner sans copier.

– Entre l’après « Société Ecran », le street-cd qui était la dernière sortie de Rédemption, ton groupe et tes apparitions sur les différentes productions de Khezine jusqu’ à aujourd’hui, quelle a été la vie de l’artiste et de l’homme que tu es ?
J’ai beaucoup voyagé. J’ai un foyer solide et tourné vers le présent et j’ai des projets. Je n’aime pas ce que devient la France ni le monde alors avec ma petite famille on a réussi à créer notre bulle et on essaie de vivre heureux en appréciant les choses simples de la vie. Le bonheur est pour moi lié à l’équilibre. Après « Société Ecran », j’ai vécu du Poker et je suis devenu disquaire puis libraire et à ce jour je travaille dans la parfumerie haut de gamme. Le rap, les livres, les parfums…tout semble me porter vers des univers où gravitent les émotions et les sens.
La passion permet de fuir une part de la réalité, de moins être percuté par les choses nocives que libère l’humanité. Je suis perfectionniste dans mon art mais au final cela ne reste qu’une sorte de jeu, qu’un échange, où viennent se percuter mes émotions et celles de mon public. Il y a un vrai respect entre nous et pour beaucoup de sujets on regarde dans le même sens…

– Avec le recul, Rédemption, c’était, du point de vue du public, un potentiel affirmé mais un potentiel non confirmé dans le temps. Est-ce que, dans un premier temps, tu peux nous donner ton regard sur ce groupe parisien auquel tu as appartenu et son parcours?
Ceux qui connaissent Rédemption savent que derrière la musique, il y avait des choses plus sombres. Ce n’était pas l’argent de l’intérim qui faisait avancer le groupe et donc les choses peuvent être parfois délicates, compliquées ornées d’imprévus et plus tu avances à travers la brume plus les bons chemins sont difficiles à trouver.
C’était 100% indépendant, notre univers était hardcore, avec une poésie certaine, mais qui n’était pas fait pour percer. On est apparu environ sur 50 000 supports physiques cumulés (Mix tapes, compilations, maxi, street album…) si tu convertis, cela représente environ, à l’heure actuelle, des millions de vues en Stream.
On a fait des feats avec S’kadrille, Specio, Mafia K1fry, Lino, ATK, Diziz…On a invité Booba, Kery, Tandem, Nessbeal et pleins d’autres têtes sur nos projets.
Le milieu connaissait Rédemption, on a eu un succès d’estime et on a kiffé donc on a réussi. Vivre une aventure et ne plus la vivre, ce n’est pas un échec que cela soit en amour, professionnel ou artistique vivre les choses pleinement c’est une réussite en soit.

[Redemption,] c’était 100% indépendant, notre univers était hardcore, avec une poésie certaine, mais qui n’était pas fait pour percer… Le milieu connaissait Rédemption, on a eu un succès d’estime et on a kiffé donc on a réussi. 

– Nous sentions beaucoup d’ambition pour le rap, et même pour le business du rap avec Redemption. Qu’est-ce qui vous animait en tant qu’artistes et en tant qu’entrepreneurs à l’époque ?
L’ambition est souvent liée à l’argent mais au final l’argent n’est qu’un moyen d’atteindre un objectif. Je pense que trop de personnes ne vivent qu’à moitié à cause de l’ambition financière. Tout le monde court après des spectres sur Paris, ils courent en suivant un schéma qui a poussé trop de frères vers la folie, la prison, la mort ou une vie morne dominée par l’ennui et la fatigue.
Je voulais la Ferrari, la villa au bord de mer…cela nous animait tous, on voulait « percer » mais avec un peu de sagesse il faut essayer de faire ce qu’on aime, proche de ceux qu’on aime en préservant le plus de liberté possible. L’ambition est une cellule qui ressemble à une issue.
« Chaque système a une faille… ».

– Quelles sont les éléments internes et externes qui ont fait que l’aventure de Rédemption s’est comme évaporée, en quelque sorte ?
Ça reste mon avis mais je dirais un manque de communication, des mauvais choix, des mises faites sur les mauvaises personnes, une lassitude, des vies respectives instables, puis un détachement progressif… La crise du disque qui arrivait tel un tsunami dans nos gueules n’était pas non plus très encourageante. Il y a eu un dernier disque puis un grand vide mais au fond cela faisait 3 ans que le groupe saignait. Le temps passe vite…il a fallu faire un choix et je ne le regrette pas.

– Aujourd’hui, nous constatons, dans le rap, comme ailleurs, que l’image a tendance à prendre le dessus sur le message. Comment toi, avec un nom comme Copola, tu travailles ton image et quelle image cherches-tu à renvoyer ?
Je veux juste dépasser mes limites en termes de technique, de flow et d’écriture, en prenant du plaisir, afin de proposer les meilleurs morceaux possibles. Tout comme Kheyzine et Keuj on est juste guidé par la passion et la performance. Mon image est faite. Il vaut mieux être maître des ombres qu’esclave de la lumière.

– Lorsque la Voix du HipHop avait chroniqué le streed CD, « Société écran », en 2006/2007, nous parlions de toi, « une des plus belles plumes du rap français [qui] ramène une émotion à travers des lyrics axés sur la poésie et des phrases chocs ». Quelle place, quel temps, accordes-tu à tes lyrics aujourd’hui et comment tu as évolué dans ton processus d’écriture avec le temps?
L’écriture est ma plus grande passion, je travaille actuellement sur le scénario d’une série tournée à Stalingrad avec Herot et Gnaxx (Dealer Killer), je travaille aussi avec une chanteuse « Bloowmana » et je vais me plonger dans l’écriture d’un roman pendant plusieurs années…

– Es-tu toujours en contact avec les autres membres de Rédemption ? Peut-on espérer un retour du groupe sur le devant de la scène ?
Je sais que Youssouf et Cid Youssef vont bien, Nerubi taffe aussi sur l’habillage sonore de la série Dealer Killer dont Gnaxx est l’acteur principal. Siabou Konaté vit en paix aujourd’hui au Mali. Rédemption a atteint « le point de non-retour », je ne revois plus certains mais ils resteront des frères avec qui j’ai appris à rêver.

– Que se prépare -t-il de ton côté , peux-tu nous en dire un peu plus, il y a-t-il un ou plusieurs projets en route pour 2025 ?
Copola et Kheyzine, c’est aujourd’hui INFÂME ALLÉGEANCE, un duo rap/prod.
Un nouveau morceau « LES ÉTOILES MORTES » en feat avec Bloowmana est sorti le 24 janvier 2025, sur la chaîne Youtube Dealer Killer et un autre morceau inédit sort sur le projet Phonographe d’Antilopsa en février 2025. On prépare la TRILOGIA DELLA MORTE (3 EP), l’album d’Infâme Allégeance et un projet mystère…

– Il y a-t-il un mot de la fin ?
Merci de faire résonner ma voix avec celle du HipHop, c’est un ciblage de puristes que je respecte vraiment. Je remercie aussi tous les bonhommes qui me soutiennent. Je discute pas mal avec eux au quotidien et au final, cela fait 30 ans que j’ai commencé le rap mais ce n’est pas les disques, les radios, l’argent qui m’ont donné le plus de satisfaction dans ma carrière. Ce sont leurs mots.

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