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Ras Kass : « J’évolue, mais je ne change pas »

Ras Kass : « J’évolue, mais je ne change pas »

Ras Kass, c’est près de 20 ans de carrière dans le rap. Ras Kass, c’est ce jeune MC de Los Angeles, qui, dès le début, au milieu des années 1990, a été considéré comme l’un des tous meilleurs lyricistes, par les légendes du HipHop. Ras Kass, c’est aussi beaucoup de conflits et des difficultés avec une industrie du disque qui est très dure avec les artistes dont la maîtrise de l’aspect business n’est pas à la hauteur de leur talent. Au-delà, de tout cela, Ras Kass en 2015, est et demeure le futur du HipHop. Sa soif de compétition, sa volonté de défier les normes qu’on nous impose, sa quête de l’excellence à tous les niveaux ainsi que sa capacité à se réinventer font de lui, non pas un modèle à suivre, mais une référence pour une culture HipHop qui est, par essence, un challenge, une rébellion contre le statu quo. Il vous suffit de lire cette interview pour en avoir la confirmation.

“I’m Kendrick before Kendrick” (“Je suis Kendrick avant). On peut interpréter cela différentes manières. Qu’as-tu voulu dire par cette phrase (extrait du morceau, Animal Sacrifice) ?
« I’m kendrick before Kendrick », est une phrase que j’ai emprunté à Mistah Fab, un MC d’Oakland. « Je suis Kendrick avant Kendrick » ? Je ne fais que répéter ce qu’il me dit tout le temps : Ce que Kendrick fait aujourd’hui, Ras Kass l’a déjà fait. Il n’y a pas d’animosité, là-dedans. Kendrick est quelqu’un que j’apprécie et je respecte. J’aime ce qu’il fait. Il s’agit juste d’une compétition saine et amicale. Je ne suis pas censé te donner la couronne. Il faut me la prendre. Il ne s’agit pas que de Kendrick. Je m’adresse en fait à tous les MCs.

Le rap, c’est la compétition. Avoir le meilleur disque du moment, ne fait pas de toi, le meilleur. Ce qui compte, c’est la longévité dans la qualité. Ce n’est pas juste avoir le succès commercial, mais surtout la qualité de tes lyrics, la capacité à faire des morceaux incroyables sur la durée. Et puis, pour les plus jeunes, qui ne connaissent que Kendrick ou qui pensent que Kendrick est un excellent rapper, il s’agit aussi de leur dire qu’ils devraient aussi s’intéresser à d’autres rappeurs qui sont sortis avant Kendrick, surtout sur la Côte Ouest.

Dans le morceau « Humble Pi », tu dis ceci : “Ebbs and flows, made a modest living off rapping/Can’t say I’m ballin’ I’m still tryna make it happen” (on Humble pi): Après Presque deux décennies dans le rap, qu’est-ce qui te motive encore? Qu’est-ce qui fait que tu continues de rapper ?
Rapper, c’est ce que j’aime faire. C’est un hobby qui est devenu mon job. Au départ, je me suis investi dans le rap, parce que c’était ma passion et aussi parce que je voulais que les gens qui m’inspiraient, comme Rakim, Nas, Tupac, Wu Tang Clan, et autres, respectent ce que je fais. Je voulais juste qu’ils disent que j’étais bon, au moins. Et il se trouve que ces gens ont dit que j’étais bien plus que bon et que j’étais l’un des leurs.

Rapper est donc devenu mon métier. Et entre temps, je suis devenu père et il a donc fallu que je nourrisse ma famille et paie mes factures. Aujourd’hui, j’aime toujours ce que je fais. Et je considère que je n’ai pas encore fait mon meilleur album. Par conséquent, je continue de me donner de nouveaux challenges.

Du point de vue business, ce qui me motive ? Je veux être payé à la hauteur de mon talent, tout simplement. Je veux la même chose que Nas et Common, par exemple. De «Nature of the threat » à « How to kill God », aujourd’hui, je suis resté constant dans l’excellence. Et je devrais être payé en tenant compte de ma consistance dans la qualité.

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« I’m kendrick before Kendrick », est une phrase que j’ai emprunté à Mistah Fab, un MC d’Oakland. Je ne fais que répéter ce qu’il me dit tout le temps : Ce que Kendrick fait aujourd’hui, Ras Kass l’a déjà fait.

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L’aspect business est une petite part de mon travail, mais il est très important. C’est justement parce que je ne me suis jamais préoccupé du côté business, que ma carrière a connu des hauts et des bas. Aujourd’hui, je me consacre à la gestion de cet aspect business et à faire de la très bonne musique, bien sûr. Je n’ai pas la reconnaissance que je me mérite en tant que MC. Et, sans cette reconnaissance, ma valeur sur le marché est amoindrie.

Je veux que les gens me paient sur ma vraie valeur et je sais qu’à ce niveau, je vaux bien plus qu’on ne m’en crédite. Je ne mérite pas plus mais pas moins non plus, que les Nas, Rakim, Tupac, Biggie, Gza  et tous les grands lyricistes.  C’est toujours l’art qui me motive, mais l’aspect business doit être à la hauteur de mon art.

Au moment de la sortie de ton deuxième album, “Rasassination” en 1998, tu étais en quête d’un succès commercial. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce que c’est toujours quelque chose que tu recherches ?
Je n’ai jamais essayé de chercher le succès au niveau du grand public. Je fais juste les disques que j’aime. Ce sont les journalistes qui ont dit que je recherchais le succès commercial parce que c’est ce qu’ils pensaient, ils ne m’ont rien demandé.

Je viens de la Côte d’Ouest, pourquoi je refuserai de faire un morceau avec Dr Dré ? Je ne recherche pas le succès à tout prix, j’essaie d’être moi-même. Je dis toujours aux gens, écoutez « Soul On Ice », puis « Rasassination », vous constaterez que c’est le même album. J’ai fait un morceau avec Coolio dans « Soul On Ice » (« Drama »). Et à l’époque Coolio, qui est un de mes homeboys, était une pop star. Il se trouve juste que je fais de la musique avec mes proches. J’ai fait un morceau, avec Dr Dré (« Ghetto Fabulous »), mais aussi avec RZA (« The End »), parce que je suis fan du Wu Tang. Tout cela ne veut pas dire que je recherche désespérément le succès commercial. Cela signifie juste que j’ai des opportunités de travailler avec des gens dont je suis fan. Dans tous mes disques, je m’efforce de rester moi-même. J’évolue mais je ne change pas.

Pourquoi tu as décidé de travailler exclusivement avec Apollo Brown sur l’album Blasphemy?
J’ai eu, dans le passé, différentes opportunités avec différents producteurs, mais je les ai laissé filer. En partie, parce qu’il y a un niveau de contrôle que le producteur a et qui ne me convient pas nécessairement. Parce que je suis un peu égoïste en ce qui concerne ma musique.

Pour ce qui est de la collaboration avec Apollo Brown, je pense que c’est arrivé au bon moment. J’ai estimé que j’étais dans une situation dans laquelle je pouvais le faire, et dans laquelle, surtout, je pouvais faire confiance à un producteur unique et lui céder ce « pouvoir ». Et cela a très bien marché. Je suis très content du résultat. Bien sûr, on a eu quelques différends au niveau artistique.

Parce que, comme je l’ai dit, je suis un peu égoïste. J’ai ma vision et j’y tiens. Le producteur a aussi sa vision, et nous devons nous accorder. Et sur 16 titres, c’est difficile. Mais, dans ma tête, j’étais prêt et donc, ce qui en est sorti, est vraiment excellent. Cependant, il y a encore des choses que j’aurai changées… Mais, c’est le compromis. Et j’avoue que je n’aime pas les compromis en ce qui concerne ma musique.

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« Avoir le meilleur disque du moment, ne fait pas de toi, le meilleur. Ce qui compte, c’est la longévité dans la qualité. »

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Est-ce que c’est parce que tu n’aimes pas les compromis que tes différents groupes, Golden State Warriors (avec Saafir et Xzibit), et 4 HRSMN (avec Canibus, Killah Priest et Kurupt) ne sont pas allés loin ?
Oh, non. Ce n’est pas la même chose. Ce qui s’est passé avec Golden State Warriors ou 4 HRSMN, n’a rien à voir, avec nous, les rappeurs. Si ces groupes ne sont pas allés loin, comme tu le dis, c’est à cause de  ceux qui géraient le côté business. Il faut savoir que Priority records ne voulait pas du projet Golden State Warriors. Ce n’est ni Ras Kass, ni Saafir, ni Xzibit, ni Loud records (chez qui Xzibit était signé) qui ne voulait pas de cet album, mais mon propre label. Pendant des années, avec Priority, j’ai été confronté à ce genre de situations, tout ce qu’ils savaient faire, c’était prendre, prendre, prendre. Alors que nous, en studio, nous avions fait notre part. Nous avions fait beaucoup de bons morceaux, nous avions eu des très bons producteurs.

Avec 4 HRSMN, c’était difficile, avec autant de monde, signés dans différents labels, avec différents agendas dictés par ces labels, mais aussi avec différents managers,  de pouvoir faire les choses convenablement. Mais la musique que nous avions fait ensemble, parce qu’à ce niveau, personne ne pouvait nous dicter quoique ce soit, était bonne. Bien sûr, il y avait des choix à faire, au niveau des choix des productions, mais c’était un compromis, chacun cédait un peu.

Le compromis entre MCs est différent du compromis entre MC et producteur. En tant que MCs, en général, quand on n’aime pas un beat, cela n’a rien de personnel. La dynamique, entre MCs, est différente.

Avec le recul aujourd’hui, quel regard portes-tu sur  “Soul on Ice” (premier album de Ras Kass sorti en 1996) ? Pour le dire autrement, au regard de la carrière que tu as eu par la suite, est-ce que cet album a été une bénédiction ou une malédiction?
« Soul On Ice » est un album qui me représentait et qui me définissait. « Soul On Ice », c’est la personne que j’étais au milieu des années 1990. Aujourd’hui, je suis la même personne. J’ai évolué, mes idées se sont, un petit peu, renforcées sur certains points et, un petit peu, détendues sur d’autres.

Mais « Soul On Ice », c’est moi. Je ne regrette pas. Si tu as des regrets sur des choses que tu as consciemment faites et qui font partie de ta propre personne, c’est comme si tu rejetais une part de toi. Je ne peux pas me renier. Je ne suis pas mal à l’aise vis-à-vis de « Soul On Ice ». Par contre, il y a des gens qui veulent que je sois mal à l’aise pour avoir fait ce que je suis, au final. Et je ne vais pas me mettre mal à l’aise, parce que je suis ce que je suis.

J’ai toujours été content de ce projet. Peut-être que j’ai choisi le mauvais label pour le sortir. Peut-être que je m’étais entouré d’amis qui ne l’étaient pas vraiment, parmi ceux qui devaient gérer la partie business du projet. Il y a plein de paramètres…

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C’est toujours l’art qui me motive, mais l’aspect business doit être à la hauteur de mon art.

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Mais peut-être que dans 50 ans, mes petits enfants le réécouteront et diront, c’est vraiment intéressant, c’est très vrai ce qu’il dit, ou peut-être qu’il avait complètement tort, mais au moins, ils auront une trace de ce que je pensais, de ce que j’avais sur le cœur, à un moment donné de ma vie. Et c’est ça le plus important : Etre vraiment soi-même.

Après pour ce qui est de faire des «tubes», des morceaux qui marchent fort commercialement, je sais le faire. Je suis capable de le faire, de prendre un des producteurs qui a la côte, dire ce que tout le monde dit, et avoir la bonne personne pour le refrain, comme Drake ou Beyonce, aujourd’hui. Il y a une formule pour cela. Mais, je fais des disques que j’aime.  Attention, j’aime aussi la musique de clubs, et tous mes morceaux ne se résument pas à « Nature of the Threat ».

Les gens s’attendent à ce que je fasse toujours la même chose. Non. Je cherche à être créatif musicalement. Mes morceaux peuvent être drôles, tristes, politiques, socio-historiques, émotionnels, etc… L’essentiel, c’est qu’ils me représentent, en bien ou en mal.

Tu as fait référence à la formule du succès. Revenons un peu sur ce morceau « Ghetto Fabulous » sur l’album « Rasassination ». Comment expliques-tu le fait que tu n’as pas explosé commercialement avec Dré sur le morceau ?
“Ghetto fabulous” n’était pas censé être mon premier single (sur l’album « Rasassination”). C’est encore une fois, un choix de mon label Priority records qui a décidé qu’il serait le premier single. Mon premier choix était « Rasassination », et « Ghetto fabulous » devait être le 3ème single.

Dr Dré voulait un couplet sur ce morceau, je l’ai écrit pour lui. Pourquoi je refuserai à Dr Dré de rapper sur mon album ? Bien sûr, parce que Dr Dré vendait beaucoup de disques, et que Mack 10, était aussi populaire à l’époque, du point de vue marketing, c’était jouable. Mais le morceau, en tant que tel, était juste un morceau sur ce que je suis tout simplement.

Je suis Ghetto Fabulous. Je suis un petit bourgeois du ghetto, je suis petit catholique de Watts. J’ai de la famille en Louisiane, dont certains membres peuvent passer pour des blancs tellement ils ont la peau clair. Je parle de moi dans ce morceau. Si tu arrives à faire du marketing autour de ma personnalité, parfait. Parce que le marketing permet de vendre beaucoup de disques. Ce n’était pas notre idée, Dr Dré et moi, d’en faire un premier single. Mais Priority records avait décidé que « Ghetto fabulous » serait le premier single. C’était ça ou ils ne sortiraient rien du tout. Ils l’ont fait et du point du business, ils ont échoué.

Ensuite, ces gens créent toute une histoire qui donne l’impression que tu as échoué alors que ce sont eux qui ont échoué dans l’affaire. Ils n’ont pas fait leur boulot. J’ai fait le mien. J’ai eu Dr Dré gratuitement. Parce qu’il croyait en ce que je faisais. J’ai eu, ensuite, d’autres morceaux avec Dr Dré. Mais la raison pour lesquels mes autres titres avec Dr Dré ne sont pas sortis, c’est parce qu’ils voulaient à chaque fois que ces morceaux soient des singles. J’ai refusé. Je ne leur ai expliqué que je ne voulais pas que ma carrière dépende de Dr Dré. J’ai les mêmes problèmes, avec « Goldyn Chyld », produit par DJ Premier, avec « See what i see », avec Pharaohe Monch. C’est comme s’ils voulaient que je me transforme en groupie de Dr Dré, en m’incitant à lui demander des trucs. Je ne suis pas un de ses artistes.

Dr Dré a déjà ses artistes et travaille gratuitement pour moi, mais Priority est toujours là à vouloir abuser et, en plus, pour échouer. J’ai dit niet. Mon histoire est très différente de ce que les gens peuvent imaginer.

Avec ce que tu as sorti récemment, on se rend compte que tu restes parmi les tous meilleurs MC.  Mais le public, les médias, de manière générale, ne te considèrent pas parmi ceux là. Comment tu l’expliques?
Les rappeurs savent que je suis l’un des tous meilleurs. Et pour répondre à ta question : les médias et le grand public ne me considèrent pas parmi les tous meilleurs, parce que l’aspect business de ma carrière, le marketing et la promotion n’ont jamais été à la hauteur de mon talent.

J’ai fait quelques uns des plus grands morceaux qu’on ait jamais fait : « Interview with a vampire ». Tout ça pour dire, je sais qui je suis. La concurrence sait qui je suis. C’est pour cela qu’ils n’aiment pas trop me citer. Dr Dré est un producteur, et non un rappeur, c’est la raison pour laquelle il aime travailler avec moi. RZA est un producteur, plus qu’un rappeur, c’est la raison pour laquelle il aime bosser avec moi.

La chance que j’ai, c’est que les producteurs m’apprécient. Les rappeurs, eux, me détestent parce que je peux les mettre au chômage. Et je peux comprendre ça. Nous sommes tous en compétition, les uns contre les autres pour être numéro 1. Personne n’est censé faire la promo de son rival.

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Il faut savoir que Priority records ne voulait pas du projet Golden State Warriors. Ce n’est ni Ras Kass, ni Saafir, ni Xzibit, ni Loud records (chez qui Xzibit était signé) qui ne voulait pas de cet album, mais mon propre label.

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Je sais que je suis dans le Top 5 des MCs. Et les autres MCs le savent aussi. C’est aux gens du business de comprendre que je suis dans le Top 5 pour qu’ils me paient ce que je me mérite pour faire un concert, par exemple.

Sur le morceau “It is what it is (Dans l’album Rasassination)”, tu dis ceci: “I ain’t nothin’ nice, but every lifestyle got a price”. Nous avions parlé de tes problèmes avec l’industrie du disque, étaient-ils aussi liés à ton mode de vie?
Non, mon mode de vie n’a rien à voir avec les problèmes que j’ai eu avec cette industrie. La plupart des histoires que les gens racontent sur moi viennent d’abord de Patchwerk Recording puis ensuite de Priority records. Et ce qui est clair dans leurs propos, c’est qu’ils ne veulent pas assumer leurs responsabilités et préfèrent plutôt rejeter la faute sur autrui.

Ce que je veux dire par cette phrase, c’est que quelque soit le choix de vie que l’on fait, cela a forcément des conséquences. Au lieu de passer des années sur le banc de la fac, j’ai opté pour un contrat avec une maison de disque. Et, ce choix a des conséquences. Cela veut dire que je n’ai pas de diplômes. Je ne peux pas demain aller sur le marché du travail et dire que je suis diplômé de Yale par exemple. Des fois, nous devons payer le prix de nos choix et de nos actions.

Je travaille dur. Je travaille bien plus que je ne devrai le faire. Jay-Z ne travaille pas aussi durement que moi, Kendrick Lamar ne travaille pas aussi dur que moi, Eminem ne travaille pas aussi durement que moi. Je fais de la musique sans arrêt. J’essaie sans cesse de m’améliorer, sans les ressources adéquates. Mais un jour, j’obtiendrai  la part que je mérite et c’est ce que je recherche.

Je m’efforce de faire de la bonne musique, d’être reconnu pour cette excellente musique que je fais, et de m’assurer qu’on me paie en conséquence pour cela. Pour que je puisse prendre soin de ma mère et lui acheter une villa. Je ne fais pas tout ce que je fais, pour avoir 8 Bentleys. Je bosse dur pour m’occuper de ma famille. Et cela depuis 1995. Et si je n’ai pas encore ce que je mérite, cela ne veut pas dire que je ne l’aurai pas. Cela veut tout simplement dire, que je dois continuer à bosser dur. Et c’est ce que je fais actuellement.

Tu as passé 19 mois en prison suite à une arrestation pour « conduite sous influence » au début des années 2000. Quel regard portes-tu sur le système carcéral américain ?
Quand j’étais plus jeune, j’avais vraiment une attitude rebelle, vis à vis de mon père notamment, qui était policier. Une fois que tu rentres dans le système carcéral, il est très dur d’en ressortir. Et mon père a toujours fait de son mieux pour me tenir en dehors de ce système. La plupart des jeunes n’ont pas le luxe d’avoir des parents derrière eux.

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L’hypocrisie de l’Amérique tient du fait qu’elle s’est construite, s’est enrichie et se développe en nous massacrant. Il se trouve que des noirs s’en sont rendus compte, et, que pour réussir en Amérique, ils se disent qu’ils se doivent de nous tuer aussi.

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Honnêtement, j’ai fait tellement de conneries, qu’au moment, où je suis tombé en prison, je me suis dit, d’une certaine manière, je le mérite. Je ne vais pas raconter d’histoire. Je n’ai pas le sentiment d’avoir été particulièrement ciblé. La police m’est tombée dessus alors que je roulais. Les charges contre moi n’étaient pas exactement la stricte réalité, mais peu importe, j’étais là et j’en assume la responsabilité.

Mais bien sûr, pour ce qui est l’incarcération des noirs aux USA, il suffit de regarder les statistiques. Un policier tue un homme noir, en moyenne, deux fois par semaine. Ils tuent consciemment, ils nous ciblent consciemment, ils nous éliminent consciemment. Au moins, j’en ai la chance de m’en sortir deux fois. Et le fait que nous rendons célèbre des gens qui rappent des idioties à longueur de journée n’aide pas non plus. Bien sûr, que parfois, dans mes textes, je dis aussi des conneries, mais j’essaie de contrebalancer à chaque fois, avec des trucs du genre, Every lifestyle has a price (« Tout mode de vie a un prix »). Mais là les gars se contentent de débiter des conneries et de faire la promotion du business de la drogue, et le pire, c’est qu’il y a des gens qui paient pour aller les écouter en concert…

L’hypocrisie de l’Amérique tient du fait qu’elle s’est construite, s’est enrichie et se développe en nous massacrant. Il se trouve que des noirs s’en sont rendus compte, et, que pour réussir en Amérique, ils se disent aussi qu’ils se doivent de nous tuer aussi.

Ce qui est aussi ennuyeux, c’est que les médias HipHop ne font pas leur part du boulot non plus. Je suis tombé l’autre jour, sur un article du site HipHopdx.com qui te définissait ainsi : le leader des théoriciens du complot dans le rap depuis les années 90. C’est risible mais problématique, en meme temps. Quel est ton point de vue sur ces medias HipHop qui prétendent faire partie de la culture mais qui apparemment ne la comprennent pas  voire se moquent de l’expérience noire aux USA ?
Je ne suis pas un théoricien du complot. C’est comme cela qu’ils veulent me voir. C’est leur problème, je ne peux rien y faire. C’est même gênant pour eux, mais je dirais que ce qui est encore plus gênant, c’est que mon peuple ne soutienne pas quelqu’un qui dit des vérités, basées sur des faits et dates précises que tout un chacun peut vérifier.

Les faits sont là, il n’y a même pas débattre. Mais je n’ai pas le pouvoir de contrôler les médias. Pour cela, il faut soit des gens soit de l’argent. Ma musique s’attache à toucher les gens et cet argent.

Pour en revenir à HipHopDx.com, au moins, ils parlent de moi. D’ailleurs, et c’est un truc que je rappelle tout le temps, il y a une partie des blancs qui me considèrent comme un fou raciste, et une autre partie, qui estiment que je dis la vérité et m’aiment pour cela. Ils m’apprécient parce qu’ils estiment que je fais preuve de pas mal de courage pour parler de ces choses.

La plupart de ces rappeurs célèbres sont des lâches. Ils la ferment, ils ne disent rien quand ils quelque chose nous arrive. Même un type comme Michael Jordan ne dit rien. Tu es noir tu n’as pas d’opinion quand les tiens se font assassiner par les forces de l’ordre ? Tu te contentes de compter ton argent ? Finalement, tu n’es pas mieux que l’assassin, parce que tu t’en fous complètement de la vie de l’assassinée. Avec ton argent, avec ton pouvoir, tu ne fais pas entendre ta voix sur ces assassinats de noirs par la police ?

Pourquoi devrais-je m’en prendre à HipHopDx.com, par exemple, quand des gens comme Michael Jordan ou Oprah Winfrey n’en ont rien à faire de nous ?

Nous devons faire preuve de plus de responsabilité envers notre communauté. Ces célébrités n’assument aucune responsabilité communautaire. Oprah s’y intéresse que quand elle est empêchée de faire ses courses chez Louis Vuitton. Il y a des gens chez nous qui se moquent complètement de notre réalité et de notre devenir, pourquoi s’attendre que des gens de l’extérieur se préoccupent de nous ?

Dans le documentaire de Ice T, « Something from nothing : The art of rap », tu dis que ton audience est principalement composée de deux groupes : Les gars en prison et les gens à l’université. Comment tu expliques-ça ? 
Ce sont les deux seuls groupes de gens qui ont vraiment le temps de lire. Quand tu es en prison, tu passes ton temps à faire de la musculation, ou tu lis, des fois tu ne peux même pas faire de la musculation, alors… Et surtout, tu as du temps.

Pour ce qui est gens à l’université, ils étudient. Ils ont aussi du temps. Ils suivent des cours d’anthropologie, de politique, d’histoire, etc. Ils se rendent compte que ce que je dis dans mes morceaux correspond à ce qu’ils apprennent en cours. Et ils se rendent compte que j’ai raison.

Les européens partout où ils sont allés ont détruit des peuples et les ont travaillé psychologiquement pour créer en eux un sentiment d’infériorité afin de piller et contrôler les ressources de ces peuples. Personne ne peut dire que ce que je dis relève de la théorie du complot. Ce sont des faits. Ce ne sont pas choses qui me font passer pour un fou. Ce sont des réalités qui montrent que tu es un idiot parce que tu n’assumes même pas ce que tu as fait aux gens à travers le monde. Imagine seulement, si nous les noirs nous nous serions comportés comme eux, en massacrant des gens, en violant, en pillant, en détruisant tout sur notre passage. Ils feraient la révolution !! Regarde la révolution française, la révolution américaine, la révolution bolchévique : Ils ont pris les armes et sont allés en guerre. Et les mêmes deviennent dingues quand on se contente de dire «  ce que vous nous faites, ce n’est pas bien ». Ce sont des malades !

Le fond du problème est que les gens ne se regardent pas dans le miroir. Et je suis le genre d’artiste, justement, qui pose le miroir devant soi,  décrit ce qu’il voit et ensuite place le miroir devant la société, pour qu’elle se regarde aussi. Et les gens n’aiment pas ça. Les gens n’aiment pas se retrouver confrontés à la vérité. Ils préfèrent entendre les rappeurs parler d’auto-destruction, ou de se vanter de posséder des biens matériels… Et les récompensent pour cela. Et après, on dit que je suis un fou.

A propos, justement, de la  vérité à laquelle les gens n’aiment pas faire face. Nous aimerions avoir ton point de vue sur la religion, que tu abordes dans tous tes albums. Dans “How to kill god”, tu dis “I’m not anti-Christ/Not anti-Islamic, anti-Semite/Never Razzy be like Neo in The Matrix”. Peux-tu nous parler de ce morceau?
J’ai écrit “How to Kill god” pendant que j’étais en prison, en 2005. J’en ai eu le concept, l’idée en 2004. Dans ma tête, à l’époque, j’avais pensé que j’aurai atteint les 5 albums de mon contrat en 2004 et que j’allais appeler le dernier album, « How to kill god ». Enfin, si les choses se passaient comme prévu, bien sûr. Et les choses ne se sont pas passées comme prévu. J’ai même enregistré un album, qui n’est pas sorti.

A un moment donné, j’en ai eu marre d’écrire des meilleurs morceaux que les Jay-Z et les Kanye et que personne ne les entende. J’en ai eu marre d’être excellent et de ne jamais être crédité pour cela. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai repris ce que j’avais écrit pour « How to kill god », et mis de côté en attendant que les gens finissent par se rendre compte que je suis l’un des meilleurs.

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Personne ne peut dire que ce que je dis relève de la théorie du complot. Ce sont des faits. Ce ne sont pas choses qui me font passer pour un fou. Ce sont des réalités qui montrent que tu es un idiot parce que tu n’assumes même pas ce que tu as fait aux gens à travers le monde.

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Pour en revenir au morceau, en lui-même, l’idée c’est de montrer justement comment on tue Dieu. Si tu as un cerveau et tu te mets en colère, juste à cause du titre de ce morceau, c’est que tu es un singe. Ce n’est pas vraiment que j’ai une sorte de complexe de supériorité, mais je suis assez mature, pour accepter la critique, tandis que certaines personnes ne peuvent pas. Ils sont tellement à fond dans leur religion qu’elles deviennent incapables d’avoir une réflexion sur elle et de l’analyser. C’est pour cela que cela rend encore plus bêtes qu’un singe. Ces gens font simplement ce que les moutons font, suivre bêtement. Si tu es incapable de distinguer le bien, le mal, et ce qui est rationnellement vrai, à propos de ta religion, c’est que tu es perdu de toute façon.

La religion est une création de l’homme. Pas Dieu. La religion, parce qu’elle est une création de l’homme, est une affaire de perception. Regarde, il y a différents groupes de chrétiens (les catholiques, protestants), il y a au moins deux groupes distincts de musulmans. Il doit y avoir 3 types de juifs. Alors qui a raison ?  Est-ce que tout le monde a tort ?

Si tu es incapable de passer au dessus du titre, si même si tu es désaccord sur le titre, tu n’es pas capable de faire l’effort d’écouter les arguments développés dans le morceau, ce n’est pas mon problème. Et dans le morceau, je le dis bien, comment on tue Dieu, dès l’intro : « Holocauste, croisades, sionisme, Jihad : Voilà comment on tue Dieu ». Donc, la moindre des choses, c’est de se dire, ok, je vais écouter le reste. Ce n’est pas comme si j’avais commencé en insultant Jesus.

Vous cachez votre haine derrière la religion de Dieu pour prétendre mériter des choses que vous accaparez. Et les autres alors que vous tuez et pillez ? Ils ne méritent rien, parce qu’ils ne sont pas chrétiens, parce qu’ils ne sont pas musulmans, parce qu’ils ne sont pas juifs ? Quel est ce genre de Dieu qui peut accepter cela ? Ou peut-être que tu n’écoutes pas Dieu ! C’est la question que je pose aux gens dans ce morceau. Les gens se contentent de se mettre en colère au lieu de réfléchir.

D’où vient la confiance que tu as, depuis le début de ta carrière, en ce que tu fais et ce que tu dis?
La confiance que j’ai en moi vient du fait que j’ai fait beaucoup de recherche, que j’ai suivi des cours à l’université, que j’ai discuté avec des Cheikhs, rabbins, des pasteurs, des hommes d’églises qui confirment les mêmes informations. Donc la confiance vient du fait que j’ai rassemblé des faits, que les gens l’acceptent ou ne l’acceptent pas. La vérité vous rendra libre que vous vouliez l’entendre ou pas.

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