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Kawse – La différence entre est dans la démarche

Kawse – La différence entre est dans la démarche

Grapheur et graphiste indépendant, le jeune lillois explique la différence entre le graphisme et le graffiti, et porte un regard critique sur son art et son évolution.

Kawse

Qui es-tu et que fais-tu?
Je m’appelle Kawse, ce nom ne représente ni une réelle identité, ni une skyzophrénie ni un rôle. Il est plus basé sur un caractère revendicatif.  Concrètement, je ne suis grapheur que dans l’action et non lorsque je parle. Et en parallèle, je suis également graphiste indépendant en freelance.

A quand remontent tes premiers rapports avec le dessin?
J’ai grandi dans un environnement artistique. Ma mère m’a mis devant une toile vers l’âge de 3 ans alors que je ne tenais même pas encore debout. Elle était professeur d’arts plastiques. Au départ, dessiner m’ennuyait plus qu’autre chose. Mais lorsque je me suis réellement intéressé au graffiti en fin 1999, je me suis replongé progressivement dans cet univers et je suis aujourd’hui plus réceptif au caractère abstrait de cette discipline.

Ton parcours par rapport à cela ?
En parallèle, j’ai commencé à m’intéresser au HipHop dans l’une de ces dernières périodes d’or en 1997. La première fois que j’ai vu un graff c’était dans un magazine juste après une interview du Wu-tang, j’ai flashé sur un graff de Part 2 (aux Etats-Unis) qui m’a vraiment marqué en 1998. J’ai par la suite commencé à sortir de chez moi pour aller regarder les graffs dans la région, dès le début il y a eu 2 écoles qui m’ont marqué : celle de Bois Blancs et  celle de Roubaix ainsi que les fats caps rouge de Jeze… En 1999, je décide par volonté de m’investir réellement dans le graffiti ? Pourquoi le graffiti? Simplement par rapport à mes données. Parce que j’avais l’impression que ma vie avait des limites que je voulais dépasser pour réorienter ma destinée. A l’époque, je pensais que le graffiti était l’un des  meilleurs  moyens de rencontrer d’autres personnes. Et voilà, ça a débuté en 1999 et je peins toujours depuis.

As-tu fais une école ou tu es plutôt autodidacte?
J’ai fait, par défaut, une école de la même façon que j’ai choisi le graffiti… C’est à dire qu’au départ dans le HipHop, j’aurai préféré être DJ mais il faut certains moyens donc je me rabattu au niveau des études sur l’artistique par facilité. Mais l’école n’a pas influencé directement ma création. Cela m’a permis au contraire d’entretenir un certain rythme. Mais sans l’école, j’aurai sans doute fais les mêmes choses qu’aujourd’hui car j’ai appris spontanément. Je revendique un caractère autodidacte autant dans ma création que dans mon intérêt pour l’infographie.

Est ce que tu t’imposes des règles à ton art et dans quel esprit travailles-tu?
Je n’impose pas de règles à mon art. Le graffiti fonctionne sur certains paradoxes car c’est une prise de liberté mais indirectement il y a des règles qui influencent ce mouvement. Je cherche à vraiment faire la différence entre ce que j’apprécie et ce que je représente. Et je pense que tout le problème du graffiti se pose là-dessus : Pour vraiment agir de façon libre, il faut oublier ce qu’on a vu et ce n’est pas forcement évident. Donc ma démarche va être de ressortir certaines émotions, certains sentiments néfastes soit de ma personne soit vécus à travers cette société. La démarche est donc à la fois libre, à la fois influencée par les évènements qui peuvent intervenir et m’entourer. Cependant, je ne revendique pas une école en terme de style car ce serait se limiter. Comparé à l’art contemporain ou ancien, le graffiti est encore vivant puisqu’il s’agit plus d’un mode de vie.  Officiellement, il n’est pas défini par des limites énumératives toutes ses disciplines sont égales.

Je pense qu’aujourd’hui si on commence à placer des limites et des hiérarchisations, on va vers la fin d’un mouvement, donc j’essaie de me libérer au maximum des choses même si je suis influencé par le regard des gens. Il m’arrive de me perdre dans une pratique que j’apprécie comme le battle et j’essaie d’avoir un mode d’expression universel, le plus revendicatif possible et illimité si possible. Ma première contrainte c’est moi même. Après mes réalisations ne sont pas aussi illimitées que mes rêves.

Est ce que tu as une notion du temps dans tes réalisations, ton art et ce que tu fais?
Par rapport à la pratique purement graffiti, cette notion de temps est obligatoire. Dans le graphisme on peut revenir en arrière, on peut retoucher on peut faire des mises à jour sur internet. Le graffiti c’est vraiment un rapport au temps X qui est immédiat, qui est incontestable. Sur une recherche de devenir l’un des meilleurs, il faut savoir que tu peux être le meilleur le samedi, et plus le mardi. Ça peut être une personne qui a réussi à mieux exploiter ses lettres par rapport au nouveau temps. De par cette rotation, on est toujours dans une dynamique à vouloir remarquer le temps. C’est intéressant car il faut accepter du jour au lendemain d’être quelqu’un et de retomber après dans l’anonymat. Ce rythme est fondamental dans le graffiti et on ne peut pas le remettre en question. J’essaie toujours de rester en cohérence avec l’époque, sans être nostalgique d’une époque car chaque période a son parfum bon ou mauvais. Par contre plus les années passent, plus je deviens réceptif à l’actualité et j’aime la retranscrire d’une façon artistique.

Quelle est ton opinion sur l’évolution du graffiti? Est ce que dernièrement des artistes t’ont surpris par la qualité de leur travail?
Oui, je trouve que le graffiti est l’un des mouvements qui propose encore un maximum de surprises. Quand on pense avoir tout vu, il y a toujours quelqu’un qui ramène quelque chose de différent. Après son évolution est plutôt négative. Les personnes se mettent des limites et veulent classer les styles. On a un début de régression, normale par rapport à l’évolution de la société.

Le graffiti et le HipHop sont à l’image de l’actualité. L’évolution du graff a une perte de parfum. Mais il faut accepter que le HipHop ou le graff soit mort. On ne peut pas répondre aux virus de la société du XXIème siècle avec des vieux remèdes des années 80. C’est peut être mieux de considérer les choses comme passées et d’avancer vers quelque chose de nouveau car de toute façon on y est obligé. C’est un cycle mais je ne pense pas qu’il y aura un retour à zéro comme beaucoup le souhaiteraient. C’est plus facile de se renouveler aux Etats-Unis ou en Angleterre et à créer de nouvelles tendances. Ici, on a un peu tendance à être trop conservateur. Le dernier mouvement qui a été créé ici c’est la techtonik, né dans le système et donc purement capitaliste. En Angleterre, ils ont inventé le grime, la bassline. Aux Etats-Unis il y a pleins de nouvelles sonorités qui engendrent de nouvelles cultures. Ici, bien qu’on rame dans le graffiti, il y a de nouvelles alternatives (qui semblent prometteuses) comme l’acide s’opposant à la notion éphémère, le light writing s’opposant à la fondamentale du support, donc on va tout de même de l’avant. L’esprit du graffiti se retrouve désormais dans d’autres cultures virtuelles : le spam, le hacking, les downloads. La première fois que j’ai vu un GPS, je me suis demandé comment placer un graff sur leur carte numérique. Pour s’opposer à l’Etat, le mouvement détournera dans tous les cas toute nouvelle donne de façon  gratuite. Le graffiti est amorphe, en transformation continue, mais il gardera ses objectifs.

Est-ce que tu roules toujours avec le DVD  ou un autre crew ?
A l’heure actuelle, je n’ai plus vraiment de groupe et donc je ne fais plus parti du DVD qui était l’un des groupes les plus importants et diversifiés de la région. Ce groupe n’existe plus car il a été amené à se diviser en 2004 / 2005. Ça correspond à une montée de l’individualisme dans la société « le cavalier solitaire » et à une montée du communautarisme.

La société a influencé cela et le groupe n’a pas réussi à survivre à ça. Il  s’est donc divisé en petites communautés et a marqué son temps. Quoiqu’il en soit, les groupes leaders ici n’ont pas volé leur place contrairement aux rappeurs. Si on regarde bien l’historique des nouvelles générations du Nord, en 1998 il y a eu le groupe multidisciplinaire LSD, vers 1999 le groupe mythique BAC. Ensuite il y a eu une petite période de mou sans véritable leader, certains ont essayé de prendre cette fameuse place sans succès. En 2002 il y a eu le groupe DVD, s’étendant sur toute la région et un peu plus. Ensuite vers 2004, ce sont les VR6 qui ont réellement investi un style d’action au delà des frontières, suivis par la MADE qui eux se sont recentrés sur la métropole.

Je respecte chacun d’eux car ils méritaient vraiment leur place de leader. Tous ont amené des choses nouvelles au graffiti de la région. Cependant la plupart des grapheurs d’ici manque d’exigences dans leur création. Par conséquent le mouvement international ne s’intéresse pas à eux mais cela ne les dérange. Aujourd’hui il n’y a plus vraiment de leader en termes de groupe. Pour réussir dans le nord il faut être en groupe. En ce moment il y a un petit creux. Il y a de la place pour qui veut.

Quelle différence fais tu entre le graffiti artiste et le graphisme? Penses-tu qu’il y a un lien entre les 2?
La différence est dans la démarche. Le graffiti a un aspect politique incontestable. Le graphisme est moins indispensable. Ça peut être la continuité du graffiti mais ça n’en a pas la même force ni la même visibilité. Ce sont des moyens d’expression comme d’autres. le principal, c’est la libre prise de parole.

As-tu une préférence dans les logiciels avec lequel tu bosses?
J’ai des périodes. Mes logiciels de référence en image fixe sont Photoshop et illustrator. En général, je travaille avec Photoshop car je garde une pratique de dessin pur. Je n’ai toujours pas sauté l’étape papier.  J’ai du mal à dessiner sur des tables graphiques car on a l’impression de dessiner dans le vent. En animé, j’aime bien Flash qui permet une bonne dynamique. On sent cependant aujourd’hui que les programmateurs ont complexifié le logiciel qui avant était plus intuitif. Pour autant j’accorde un intérêt léger à la technique, les logiciels sont au service de mes idées.

Est ce que c’est évident pour toi de concilier ton style avec les exigences des clients, tu dois faire certains compromis ou on te donne carte blanche?
Lorsque je suis dans une démarche de graphisme en freelance, je réponds à une demande. Je n’exploite pas du tout l’image graffiti, je retranscris mon savoir faire, je réponds à une demande avec un esprit moderne. C’est vrai qu’en général les clients arrivent avec une idée déjà arrêtée. Mon rôle est de leur ouvrir les yeux sur un échantillon de possibilité plus vaste. Il arrive que des personnes qui connaissent mon aspect artistique, me donnent carte blanche. Mais ce n’est pas évident de travailler comme ça car je suis habitué aux restrictions et j’ai appris à faire avec. J’arrive quand même à imposer certaines idées de par mon caractère. Je sais vraiment de faire la différence entre l’artistique et le commercial. D’ailleurs c’est pour cela que j’ai divisé mon site internet www.kawse.com en 2 parties. Parce que c’est une erreur de lier le côté graffiti et celui client. C’est parce qu’il y a beaucoup de clients qui arrivent avec une certaine négligence de l’artistique et ne laissent pas de place au graphiste. Actuellement, la tendance s’inverse un peu avec la notion d’aller chercher un graphiste pour ses particularités ou son éthique. C’est comme acheter ses fruits chez l’artisan du coin, il y a des notions bien plus humaines et une authenticité du produit. Mais il demeure un paradoxe en graphisme, il a beaucoup plus de freelances qu’il y a de demande. La différence se joue donc soit sur la qualité, l‘exclusivité ou la pureté des fruits.

Comment définirais-tu ton style?
Universel mais personnel, engagé et en cohérence avec la région. Désolé je n’utilise pas la couleur rose…il n’y en a pas dans le ciel. Par moment je me trouve plus proche de l’imagerie cyber punk que de l’imagerie HipHop.

Je comprends et j’apprécie la démarche d’un chanteur comme Saul Williams. Il a subi l’échec du Slam et qui, tout en gardant son message, a changé sa façon de l’exprimer en s’orientant logiquement vers une musique plus radical comme le punk rock. Il n’attend plus, il impose! Les styles évoluent et ont de multiples interprétations. On a habitué les gens à dire « les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas ». J’aime répliquer à ce cliché par une phrase plus juste « Nous ne voyons pas les choses telle qu’elles sont mais tels que nous sommes ».

J’ai vu que tu as bossé avec La Chienne Edition, comment s’est faite la rencontre (et la collaboration) ?
La rencontre s’est faite virtuellement, c’est une personne qui a un univers très particulier, très ouverte, créative, intègre, qui témoigne de la force de la région. C’était une simple invitation, je ne le connais pas personnellement et c’est appréciable car ici, on a l’impression que tout est bouché quand on n’a pas de réseau.

Créés-tu des typos ou fais tu des typos déjà existantes en général?
Oui je créé mes typos. Par exemple pour un logo, je crée juste le minimum nécessaire de lettres  en interactions. Ça me parait évident par rapport à ma discipline.

En ce moment dans le graphisme c’est un peu la mode de s’intéresser à tout ce qui est lettres, est ce que ce coté-là  te touche également?
Non, pas du tout, c’est là ou on voit la différence entre arrivistes et activistes. On sent tout de suite si la personne a vraiment une culture typo ou graph. Dans le graphisme, en ce moment, la surexploitation de la typo dessinée à la main est juste un effet de mode mais il s’agit d’une vraie culture à la base. Je ne suis pas sûr que cela continue à part chez les initiés. Cette mode va traîner comme d’autres. Pour ma part, je ne m’intéresse que très peu à cet épiphénomène qualifiable de  récupération ne me dérange pas. Je ne suis pas le père du graffiti : dessiner des lettres, c’est accessible à tous ! Cela ne demande pas le même savoir que le dessin pur. Avec les lettres, la part d’interprétation, de plaisir est plus vaste. Pour s’aérer l’esprit, tout le monde devrait s’essayer à la musique, au dessin, au sport, à l ‘écriture. Après de là à exposer ses essais, c’est un autre problème.

Est-ce qu’il est facile de se faire une place dans le monde du graphisme?
Dans le graphisme, il y a de la place pour tout le monde. Techniquement, chacun peut ouvrir sa vitrine ou éditer son « moi » sur un espace virtuel donc illimité. En revanche dans le graffiti, il y a beaucoup moins de places, l’environnement urbain a ses limites. Tout le monde est mis sur le même pan de mur : les débutants, les touristes, les compétents, les maladroits, les vrais faux, les énervés… se côtoient et se mélangent. En apparence, c’est une bonne dynamique, mais il ne faut pas se mentir, vouloir graffer son nom en plus grand ou avec plus d’effets colorées, cela devient un fonctionnement de compétition semblable au capitalisme. Mais bon graphisme ou graffiti, il faut savoir quel est ton but et ta cible puis s’y tenir. Au final le talent est moins important que l’identité.

Lorsque tu as du talent, tu fais les choses qui te représentent. Tu n’as pas d’état d’âme, cela dit, honnêtement je pense que les imposteurs n’en n’ont pas non plus. Ils ont peut-être choisi une solution qui est plus facile.

Non, le talent ne permet pas une réelle reconnaissance. D’ailleurs, il ne vaut mieux pas être reconnu à l’heure actuelle. C’est un honneur de ne pas réussir aujourd’hui ou même de ne pas être reconnu dans un pays qui a voté Ségolène ou Sarkozy. L’ombre ce n’est pas quelque chose de négatif. Ça te permet de rester toi-même. La preuve, quand tu regardes une course, les premiers sont souvent dopés. Ce n’est pas négatif de ne pas être dans le peloton. Dans le graphisme, il y a de la place pour tout le monde. Techniquement, chacun peut ouvrir sa vitrine ou éditer son « moi » sur un espace virtuel donc illimité.

Après il ne faut peut-être pas perdre son temps à tout regarder. En revanche dans le graffiti, il y a beaucoup moins de places, l’environnement urbain a ses limites. Donc si tu ne fais pas partie (potentiellement) des 20 meilleurs de la ville, il vaut mieux arrêter, car il n’y a pas forcément suffisamment d’espaces et aujourd’hui on arrive dans un paradoxe qui est de repasser soi-même. C’est un non-sens. La culture fonctionne sur le libre-arbitre. Tout le monde pense pouvoir commencer et assurer alors que la meilleure position reste celle du spectateur volatile. Après avoir tenté sa chance, si le talent ou l’endurance n’est pas là, l’activiste raté devrait s’arrêter. En sport, l’organisation est plus claire : les carrières sont courtes, séquencées dans des divisons selon les niveaux. Le graffiti lui est sans frontière, initialement utopiste proche du communisme. Tout le monde est mis sur le même pan de mur : les débutants, les touristes, les compétents, les maladroits, les vrais faux, les énervés… se côtoient et se mélangent. En apparence, c’est une bonne dynamique, mais il ne faut pas se mentir, vouloir graffer son nom en plus grand ou avec plus d’effets colorées, cela devient un fonctionnement de compétition semblable au capitalisme. Mais bon graphisme ou graffiti, il faut savoir quel est ton but et ta cible puis s’y tenir. Au final le talent est moins important que l’identité.

Quels sont tes projets avenir ?
La mise à jour de mon site artistique et commercial. Ensuite j’essaie de bosser sur un projet graffiti qui s’appellera sûrement Flow Concept. Il a pour  but de remettre en question les codes établis, d’essayer d’approcher une liberté extrême au point même d’imploser le mouvement. J’aimerai bien en faire un livre mais ce ne sera pas évident. C’est un défi. J’avance avec une accroche qui s’appelle « Echouer encore échouer mieux ». Mes autres projets seraient d’aller dans un pays peut être plus favorable à des démarches artistiques pures. Par ailleurs, si ce n’est pas par perte de niveau, j’arrêterai de graffer lorsque je serai vraiment heureux dans la vie. Parce que je pratique cela plus par compensation que par divertissement.

http://www.myspace.com/isnotakawse
http://www.kawse.com

 

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