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Incontournable. L’œil du HipHop dans la région. Voilà comment on pourrait présenter le collectif Direct Dans Ta Face. Mais, on a préféré les laisser s’exprimer sur leur travail, ainsi que sur le HipHop dans la région. Entretien avec PIB et Lady B.

Que fait DDTF?

PIB : Le collectif DDTF (Direct Dans Ta Face) fait de la photographie et de la vidéo dans le HipHop, mais surtout dans la culture urbaine. Notre collectif existe depuis 2000, Bénédicte est arrivée en 2002. Notre travail se situe surtout dans l’image, pour ma part en ce qui concerne la photographie, je fais des pochettes d’album, des photos de com’, des reportages pour des magazines spécialisés, beaucoup d’autres choses, pour la presse, dont Internet, puis des photos pour des festivals et des concerts.

Bénedicte : En vidéo, ça va du reportage, jusqu’au DVD en passant par la vidéo live, et peu de clips.

 

Quelles sont vos motivations dans votre domaine et comment vous répartissez vous les tâches ?

P : Nous sommes surtout 2 à travailler. Après, il y a d’autres gens qui travaillent avec nous en vidéo. Pour ma part, je travaille beaucoup seul, j’essaie d’être prestataire de tous les lascars du nord et en même temps. J’essaie d’être activiste dans le mouvement HipHop en mettant mon grain de sel par l’image et le style. Je sous-entends par là que l’image de la culture urbaine n’est pas assez visible. Très peu de gens vont dans les quartiers photographier les petits groupes ou faire avancer la culture, je parle vraiment des MCs, des Djs, des danseurs, des graffeurs. On a un champ d’action très large donc on essaie de travailler avec le plus grand nombre de personnes et de crews possible, que ce soit du plus petit crew de Hem au plus grand de la région qui va être signé en major. Après j’ai des préférences, j’aime travailler avec les groupes de rap, faire des pochettes d’album, des photos de com’ mais c’est au-delà  de l’idée de faire du business, c’est avant tout une passion.

B : En vidéo, c’est un peu plus compliqué, les coûts et la durée de travail ne sont pas les mêmes, ça prend plusieurs semaines avec la location du matériel. Moi je ne m’arrête pas forcément qu’au HipHop, je pars vers l’électro, vers des choses plus larges.

P : Bénédicte fait partie de Digital Vandal qui fait beaucoup de Vidjing, c’est à dire du mix de vidéo live, tout ce qui est en plus dans un concert, donc les projections, les conceptions scénographiques sur des concerts essentiellement électro. J’aimerais le faire plus dans le HipHop mais ce n’est pas vraiment répandu et ça demande beaucoup de moyens.  Ça commence depuis quelques années en vidéo live ou dans les concerts HipHop. Ca tend à se développer de plus en plus.  Mais, c’est vrai que c’était plus réservé à l’électro, avant.

 

Comment définirez-vous votre style ? Vous sentez-vous proche d’une école ?

B : Celle de la débrouille !

P : Il n’y a pas vraiment d’école, on est vraiment la première génération à être dans le HipHop. J’ai du mal à me raccrocher à un style particulier parce qu’avant, ça n’existait pas. Après il y a des photographes comme Armen ou Xavier De Nauw, des gens qui sont là, dans le HipHop depuis 1985 et qui maintenant travaillent aux USA avec 50 Cent, etc. Ce ne sont pas mes références mais des gens pour qui j’ai du respect et sur lesquels je m’inspire, au niveau de leur travail.

 

Quels sont vos influences, vos inspirations, le cadre dans lequel vous vous sentez le plus à l’aise ?

B : Il y a 12 millions de choses qui nous inspirent.

P : Moi, j’écoute beaucoup de sons HipHop donc forcément je vais plus travailler avec des gens dont j’apprécie le son bien qu’il m’arrive de travailler avec des gens dont je n’apprécie pas du tout le son. Après  l’intérêt, c’est d’offrir une visibilité aux gens qui n’ont pas forcément les moyens et qui sortent leur mixtape, de leur offrir une belle pochette. Donc, c’est plus une connection, une collaboration. Si je peux faire taxer des personnes qui sont signés en major, c’est très bien mais si je dois faire un plan à 2 euros avec un groupe de rap plus petit, je le ferai parce que j’y trouve aussi un intérêt, ça me permet de faire de l’édition. Là, j’aimerai sortir un second livre,  donc ça me permet de rassembler autant ce que j’aime dans mon travail personnel. J’essaie d’être là où il se passe des choses, et au fur et à mesure des années je le vois dans le HipHop en photos, je deviens un peu la bande d’images. J’ai tellement pris de gens en photos qu’effectivement dans 10 ans, j’aurai pratiquement pris tout le monde et j’aurai une vue d’ensemble de ce qui se serait passé au moins dans le mouvement HipHop pour le Nord-Pas-de-Calais. Quelque part, je contribue un peu à la mémoire de la culture urbaine du Nord-Pas-de-Calais sans être prétentieux. parce que,  je suis là et je prends des photos qu’elles soient bien ou pas, elles existent et c’est quand même un témoignage d’une période dans la région.

B : Moi, je ne suis pas issue de la culture HipHop, c’est quelque chose que j’ai approché avec PIB, je ne me sens pas proche de l’esthétique musicale comme tu le disais… donc voilà, je m’oriente plus vers des groupes hybrides comme Birdy Nam Nam ou vers la danse qui a une plus grande ouverture esthétique.

 

Comment reconnaît-on votre touche ?

P : C’est super simple, si on s’appelle Direct Dans Ta Face, c’est parce que,  j’aime que les photos rentrent dedans, que je sois super proche du sujet, que ça tape vraiment à l’œil, et que ça ne soit pas un style académique. Mais que ça soit jeune, dynamique. Enfin, j’espère que les gens qui me connaissent reconnaissent une photo de moi sans savoir que c’est moi qui l’ai prise. Peu à peu je crée mon style, direct, avec des grands angles, comme par exemple William Klein qui est un vieux photographe français qui prenait des photos que sur des grands angles. Il s’approchait très près des personnes, et moi c’est ce que j’aime bien. J’aime aussi les photos qui font peur, qui représentent notre génération, qui dérangent un peu. D’ailleurs c’est pourquoi tu ne les vois pas dans la presse généraliste. En plus, ce n’est pas pour parler de racisme, mais il est rare d’y voir un black ou un beur. Donc pouvoir dire que ces gars là existent vraiment ainsi que cette culture et qu’on les montre, même si ça fait peur à certains et bien, c’est une bonne chose.

 

Etes-vous autodidactes ?

B : Moi, j’ai fait une école d’audiovisuelle pendant 2 ans. J’ai donc acquis de solides bases techniques en cadre, après le montage, je l’ai appris toute seule.

P : Le fait que Bénédicte soit jeune, et qu’elle sache techniquement faire pleins de choses différentes, c’est unique parce qu’il y a des gens qui vont mettre 5 ans à savoir monter, filmer. Notre intérêt, c’est qu’elle sache tout faire, et qu’elle soit techniquement au point donc, on n’a pas besoin d’un monteur, d’un cadreur ou quoique ce soit.

B : Ça permet de gagner du temps, c’est vrai qu’il y a certaines choses que j’ai apprises en 2 ans alors que toute seule en me débrouillant, ça m’aurait pris 5 ans.

P : Moi, je suis vraiment autodidacte, je n’ai jamais assisté à un cours de photographie. J’ai appris sur le tas en gâchant les pellicules, en étant à droite et à gauche, et peu à peu, je suis arrivé à faire ce que j’estimais être de bonnes photos et à avoir mon propre style et puis ce n’est pas encore gagné.

 

Quels sont les obstacles rencontrés ?

B : Pour la vidéo, c’est un gros problème de budget. Par exemple, pour la vidéo live dans le HipHop, si c’est aussi peu développé, c’est parce que mettre 1500 euros pour louer une vraie installation, c’est énorme à porter pour des structures qui n’ont pas forcément les épaules et qui ne voient pas vraiment ce que ça peut apporter de plus. C’est vrai que les gens vont dans un concert avant tout pour écouter de la musique, c’est bien s’il y a une installation vidéo et des beaux visuels mais c’est vite des coûts élevés même si ça a beaucoup baissé par rapport à l’époque.

P : Dans la photographie, ce sont les portes qui se ferment à un certain niveau. On ne se prétend pas dire que nous sommes des artistes. Ce n’est pas de l’art ce que je fais mais des objets de communication. C’est de la réalité. Pouvoir accéder à de grandes expositions, rentrer dans les institutions photographiques qui te permettent de travailler, de faire des éditions, et bien je suis comme un rappeur devant la mairie à savoir que c’est bien beau mais on ne sait pas si ça cadre avec la ligne artistique. Moi, quand j’ai commencé la photo, j’ai eu pleins de portes qui se  sont fermées, il y a d’autres photographes qui sont dans le même cas que moi, je pense à JR, à des gens qui évoluent dans une certaine culture. Le problème est que jamais je ne serai inviter à la maison  européenne de la photographie même si j’ai vu des expositions pas terribles. On a quand même l’impression d’être hors sujet avec ces gens là.

B : La diffusion est toujours compliquée, l’intérêt de notre travail est qu’il soit vu, c’est légitime. Pour la vidéo, ça s’est amélioré avec Internet que ce soit avec Youtube ou Dailymotion. C’est assez extraordinaire pour ça, mais ça ne permet pas non plus une diffusion de bonne qualité et c’est ce qui est dommage.

P : Après, c’est vraiment une question de moyens, dès que tu veux faire un gros truc, il faut louer un studio, des lumières, trouver des assistants, on se débrouille entre nous, et effectivement quand j’ai envie de taper dans des gros trucs et bien je n’ai pas le matériel pour. Là tu vois j’ai 31 ans et je viens d’avoir mon premier appareil photo numérique. Je l’ai acheté d’occasion sur Internet, j’ai mis le temps avant d’avoir le matériel et d’avoir une photographie professionnelle, donc c’est gênant. Il faut du temps et je n’ai pas envie d’avoir 50 ans et d’éclater enfin dans le HipHop et à cet âge là, tu ne vas pas te mettre à courir après les lascars au boulevard, c’est ce qui me refroidit. C’est comme Martha Cooper qui était là, à la base du HipHop, et il n’y a que maintenant qu’elle éclate et qu’elle vend des bouquins mais elle a plus de 60 ans. Moi j’ai envie que ça éclate avant, mais ce n’est pas pour faire ma star mais pour avoir les moyens de faire plus après, d’avoir un style, et toujours d’être activiste dans la culture urbaine. Le problème que je rencontre lors de rencontres avec des photographes, c’est que tu as toute la presse : photographe animalier, aérien, … et moi je suis là en tant que photographe spécialisé dans la culture urbaine, je reste atypique, je suis vraiment pris pour un lascar parce qu’à Lille, c’est un milieu assez chic et bourgeois, et moi j’arrive là avec mes photos HipHop, pour eux je suis là que pour 2 ans, sauf que depuis, on est toujours là et moi je n’arrêterai pas de faire de la photo.

 

Le fait que l’on soit passé de l’ère audio à l’ère visuelle, quels sont les avantages que vous en tirez ?

B : Ça fait un moment qu’il y a du visuel, les premiers clips travaillés avec Michael Jackson. C’est juste que c’est devenu accessible à des gens qui n’y pensaient même pas, donc il y a plus de production. Est-ce que cela induit plus de qualité, je n’en suis pas toujours sûre.

P : Peu importe la qualité, de plus en plus tu as des clips ghettos. Ce sont des gens qui ont aujourd’hui les moyens de tourner par eux-mêmes ou qui font tourner par un professionnel, je trouve ça bien pour le mouvement mais au niveau qualité ça pêche un peu. La diffusion n’est pas entière, effectivement quand tu connais des gens sur M6 et que ton clip passe, c’est de la goulade. Mais sinon c’est dur, c’est toujours en mixtape. C’est pourquoi, on a sorti un DVD démo que l’on file, pour montrer et dire qu’on est là et qu’on représente l’image.

 

Pouvez-vous nous parler de votre projet  d’édition?

P : On a fait le projet en 1 an et demi, ça m’a permis d’être connu et de travailler entièrement dans la photo. Sortie 2 l’ombre a été mon premier livre. Il m’a fait connaître partout, dans tous les milieux, surtout dans la culture urbaine et m’a ouvert énormément de portes. Avec le recul, je suis hyper fier de ce projet, parce qu’on l’a fait en famille, on ne s’est pas fait de l’argent avec, à la base c’était vraiment de la diffusion. Aujourd’hui, je travaille avec des gens avec qui je n’aurai eu aucun crédit. Il y a tellement de styles différents, entre ce que je veux faire et ce que les gens veulent, c’est quelque chose d’unitaire dans le HipHop, donc il faut réduire les écarts. Pour parler de mon livre, il me reste 100 exemplaires, on en avait édité 1300. On l’a très bien diffusé.

 

Avez-vous l’intention d’étendre votre horizon au niveau de la production aussi bien en photo qu’en vidéo ?

B : En vidéo, maintenant, j’ai des envies différentes de quand j’ai commencé avec PIB. Le travail de création sur des performances, sur des concerts, m’intéresse peut-être plus que le clip. Après, c’est surtout l’envie d’aller le faire ailleurs par exemple partir avec Birdy Nam Nam, faire des concerts à Paris, Toulouse, Nantes, et en Belgique ou encore avec Digital Vandal, on part du côté d’Amsterdam rencontrer des nouveaux activistes, un nouveau public, des nouveaux lieux, et d’autres sources d’inspiration.

P : Pour la photo, je ne peux pas dire que je vais être photographe dans le HipHop toute ma vie, c’est évident.  La culture urbaine restera sans concession en moi. Maintenant j’ai 30 ans donc, il faut dépasser ce cadre là. C’est pour cela que je travaille plus en presse même si c’est différent. J’apprends plus et je prends encore plus de photos. J’aimerai bien développer ce que l’on fait mais les moyens manquent.

B : On n’a pas forcément envie de se transformer en chef d’entreprise. A partir du moment où tu montes une boîte de production, tu dois aussi accepter un tas de projets qui sont nécessaires à faire tourner ta boîte et moi je n’ai pas envie de faire du film d’entreprise, ni de l’institutionnel. On est sur de ce que l’on ne veut pas, c’est déjà ça.

P : C’est clair que je n’ai pas envie d’être manager d’un groupe de photographes et de cinéastes. Ce qui m’intéresse c’est être sur le terrain, mais après j’aimerai bien que l’on ait un graphiste, un webmaster… j’en rêve mais aujourd’hui on fait tout par nous-mêmes : les mailings, les sites Internet… c’est fatiguant parce que j’ai toujours envie d’exister par cela mais c’est toujours le problème des moyens.

 

Quelle est votre vision du HipHop dans la région ?

P : Moi, je trouve qu’il y a vraiment un gros potentiel, même si c’est cliché ce que je dis. Il y a aucune visibilité au niveau national et c’est vraiment dommage parce que il y a beaucoup d’énergie, en qualité pas toujours certes, mais je trouve qu’il y a, proportionnellement, à Paris beaucoup de rappeurs, de danseurs, graffeurs dans la région. Mais on a une faible visibilité sur la France. Je trouve ça bien que MAP tourne, qu’Axiom fasse son business… Mais il y a d’autres groupes qui, à mon avis, auraient la même crédibilité et qui devraient émerger. Sauf qu’une fois de plus, nous ne sommes pas à Paris donc c’est super dur pour les petits groupes de tourner.

B : Disons aussi que la danse se fait de son côté, la musique du sien, les DJs, c’est encore autre chose alors que le fait de tous se rencontrer ça tire, les niveaux, les réseaux, la production vers le haut, donc forcément localement, ce n’est pas le top, après il faut un lieu de rencontre…

P : Un exemple parmi tant, il est rare qu’un groupe de la région fasse entièrement le Splendid, les groupes du Nord font les premières parties des concerts. Je trouve ça un peu dommage parce qu’on est toujours la première partie d’un groupe, peu importe le style. D’une manière générale, en danse le niveau est en train d’exploser parce que tu as toutes les nouvelles générations qui arrivent, en graff, le niveau a toujours été bon et après au niveau des groupes, ça émerge mais sans les moyens, et les retours derrière. Il y a plein de groupes qui commencent à monter et puis après, on ne les voit plus.

B : Il y a une réticence au niveau des salles à programmer du HipHop encore plus lorsqu’ il s’agit des groupes locaux et cela pour des tas de raisons bonnes ou mauvaises et je pense que c’est partout pareil en France.

P : Nous sommes la région maudite, il y a plein de gens qui font du HipHop depuis des années et qui ont une faible visibilité. Si ils étaient sur Paris leurs street-tapes tourneraient, ils feraient quelques scènes.

B : Ca c’est vrai, pas uniquement pour le HipHop, dans tout style musical et courant artistique, on trouve plus de facilité à rencontrer du monde et à faire tourner ton boulot à Paris.

 

Le mot de la fin ?

P : Je fais un gros big up aux Mcs, grapheurs, danseurs qu’ils crachent toujours dans le micro et qu’ils ne lâchent pas l’affaire.

 

Retrouver DDTF sur le net :

www.ddtf.fr

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